Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/419

Cette page n’a pas encore été corrigée

des martyrs : « Pendant la persécution », dit-il, « c’est le combat qui nous vaut la couronne ; pendant la paix, c’est la conscience[1] ». Que nul donc ne s’imagine que le temps lui manque ; ce n’est point toujours l’heure de souffrir, c’est vrai, mais c’est toujours l’heure de bénir. Et que nul ne se croie faible, quand c’est Dieu qui nous donne des forces, de peur qu’en craignant pour lui-même, il ne désespère du divin ouvrier. Aussi Dieu a-t-il voulu que tous les âges trouvassent des modèles chez les martyrs, ainsi que les deux sexes. Voilà des vieillards couronnés, des jeunes hommes couronnés, des adolescents couronnés, des enfants couronnés, des hommes couronnés, des femmes couronnées. Et parmi les femmes, tout âge est couronné ; et nulle femme n’a dit : Mon sexe me rend impuissante à vaincre le diable. Elle s’est appliquée à renverser l’ennemi qui l’avait elle-même renversée, à terrasser par la foi celui qui l’avait gagnée par la séduction. Les femmes ont-elles donc présumé de leurs forces, quand il est dit à l’homme : « Qu’as-tu que tu n’aies point reçu ?[2] » La gloire des martyrs est donc la gloire du Christ qui a précédé les martyrs, qui anime les martyrs, qui couronne les martyrs. Et toutefois, bien qu’il y ait des temps de paix et des temps de persécution, est-il un temps sans persécution cachée ? Aucun. Ce lion, appelé aussi dragon, ne rugit pas toujours, n’est pas toujours en embuscade, mais il est toujours à poursuivre. En temps de violence ouverte, il n’y a pas d’embûches ; en temps d’embûches, il n’y a point de violence ouverte, c’est-à-dire, quand il rugit comme lion, il ne se glisse point comme dragon, et quand il se glisse comme dragon, il ne rugit point comme lion ; mais comme il est toujours ou lion ou dragon, il est toujours à persécuter. Quand le rugissement s’éteint, crains les embûches ; quand les embûches sont découvertes, évite le lion qui rugit. Or, c’est éviter et le lion et le dragon que conserver toujours son cœur dans le Christ. Tout objet de nos craintes, en cette vie, passera. Mais, ni l’objet de notre amour ne passera dans l’autre vie, ni ce qu’il nous faut craindre. Tout à l’heure, le Seigneur s’adressait aux Juifs dans l’Évangile, et leur disait : « Malheur à vous, Scribes et Pharisiens, qui bâtissez des tombeaux aux Prophètes, et qui dites : Si nous avions été du temps de nos pères, nous n’aurions pas répandu avec eux le sang des Prophètes. Aussi, vous vous rendez à vous-mêmes le témoignage que vous êtes les fils de ceux qui ont tué les Prophètes, vous comblerez donc la mesure de vos Pères[3] ». Dire, en effet : « Si nous avions été du temps de nos pères, nous n’aurions pas été d’accord avec eux pour tuer les Prophètes », c’est dire qu’ils étaient leurs enfants. Pour nous, si nous marchons dans le chemin droit, nous appellerons nos pères, non point ceux qui ont tué les Prophètes, mais nos pères, ceux qui ont été tués par leurs pères. De même que l’on dégénère par les mœurs, on devient fils par les mœurs. On nous appelle en effet, mes frères, des enfants d’Abraham, et toutefois nous n’avons point vu la face d’Abraham, et nous ne descendons point de lui par la voie de la chair. Comment donc sommes-nous ses fils ? Non point par la chair, mais parla foi. « Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice[4] ». Si donc c’est la foi d’Abraham qui a fait sa justice, tous ceux qui, après Abraham, ont imité sa foi, sont devenus fils d’Abraham. Les Juifs, ses fils selon la chair, ont dégénéré, et nous, qui sommes nés des Gentils, nous avons acquis, en l’imitant, ce qu’ils ont perdu par leur déviation. Gardons-nous donc de croire qu’Abraham soit leur père, bien qu’ils soient descendus d’Abraham selon la chair. Leurs pères sont ces hommes dont ils avouent les crimes : « Si nous avions été du temps de nos pères », disent-ils, « nous n’aurions pas été d’accord avec eux pour tuer les Prophètes ». Comment peux-tu dire que tu n’aurais pas été d’accord avec ceux que tu appelles tes pères ? S’ils sont tes pères, tu es leur fils. Si tu es leur fils, tu aurais été d’accord avec eux ; et sans accord tu n’es plus leur fils. Si tu n’es plus leur fils, ils ne sont plus tes pères. Le Seigneur veut donc te convaincre, par là, qu’ils feront, eux aussi, ce qu’ont fait les premiers, puisqu’ils se les donnent pour pères. « Vous vous rendez donc à vous-mêmes », leur dit Jésus-« Christ, « ce témoignage que vous êtes les fils de ceux qui ont

  1. C’est ainsi que le saint athlète termine son traité de l’exhortation au martyre, qu’on lisait publiquement dans les églises d’Afrique, ainsi que le prouve ce passage de saint Augustin.
  2. 1Co. 4, 7
  3. Mat. 23, 29-32
  4. Gen. 15, 6