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est bien pardonnable. Mais heurter contre une montagne, quels yeux faut-il avoir ? O mes frères ! les Juifs sont plus dignes de pardon ; ils ont heurté contre une pierre, et les hérétiques vont heurter une montagne ! Comment les Juifs ont-ils trébuché contre la pierre ? C’est que le Christ était encore petit, à sa passion, et il est dit qu’« ils ont heurté contre la pierre d’achoppement[1] ». Or, le saint prophète Daniel eut une vision[2], et il écrivit ce qu’il avait vu, et il dit avoir vu une pierre détachée « de la montagne sans le secours d’aucune main ». C’est le Christ qui venait du peuple juif. Car ce peuple était aussi une montagne, puisqu’il formait un royaume. Pourquoi « sans le secours de la main ? » C’est-à-dire que cette pierre se détacha sans travail humain, puisque nul homme ne dut s’approcher de la Vierge, en sorte qu’il est né sans aucune œuvre de l’homme. Or, cette pierre « détachée de la montagne, et sans secours humain », brisa la statue qui figurait le royaume de la terre. Qu’est-il dit encore ? Que telle est la pierre contre laquelle ont heurté les Juifs. « Ils ont trébuché contre la pierre d’achoppement ». Quelle est cette montagne contre laquelle viennent heurter les hérétiques ? Écoute Daniel lui-même. « Et la pierre grandit et devient une grande montagne au point de remplir toute la terre[3] ». C’est avec raison que le Psalmiste a dit à Notre Seigneur sortant du tombeau : « Élevez-vous, Seigneur, par-dessus les cieux, et que « votre gloire éclate par toute la terre[4] ». Qu’est-ce à dire que votre gloire éclate par toute la terre ? Que votre Église, que votre épouse soit sur toute la terre. Et cependant elle s’écrie : « Indique-moi, ô toi que chérit mon âme ![5] » Me voilà partout, sur tous les confins de la terre, et je suis « voilée » pour les Africains. Indique-moi dès lors, de peur que je ne sois comme voilée pour les troupeaux, non plus de tes brebis, mais de tes compagnons. Car tes compagnons ont fait des schismes. Quels sont ces compagnons ? Ceux qui se sont approchés de la table du Seigneur, et dont il est dit dans un autre psaume : « Celui qui mangeait mon pain » ; dont il est dit aussi : « Qu’un ennemi m’ait outragé, je l’aurais supporté, que celui qui me hait s’élève en

paroles contre moi, je me déroberais à ses poursuites ; mais toi, un autre moi-même, toi mon chef, toi mon ami, toi le familier de mes repas, avec qui je marchais d’accord dans la maison du Seigneur[6] ! » D’accord autrefois, maintenant en désaccord, parce qu’il n’y a plus de sentiment commun. C’est au milieu de ces compagnons que l’Épouse redoutait de tomber. Je crains d’errer, dit-elle ; je crains que, « voilée » en quelque sorte, je ne vienne à tomber parmi les troupeaux de tes compagnons, et à me perdre dans mon égarement ; ce baptême que j’ai reçu, je crains de le perdre tout entier, en le renouvelant.

5. Vous avez entendu les transes de l’Épouse, écoutez la réponse de l’Époux. Aussitôt après ces paroles de l’Épouse, l’Époux reprend : « Si tu ne te reconnais point, ô la « la plus belle d’entre les femmes[7] ». O Église catholique, belle parmi les hérésies ! « Si tu ne te reconnais point », si tu n’es pas attentive à me trouver là même où tu as appris à me connaître, si tu ne préfères de beaucoup mes Écritures à toute parole des hommes, si tu ne sais pas que tu es partout, si tu ne te reconnais point dans ces paroles du Psalmiste : « Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage[8]. Si donc tu ne te reconnais point », que va-t-il ajouter ? « Sors ! » a Si tu ne te reconnais point, sors ! » Parole sinistre, parole déplorable : « Sors ! » Dieu la veuille éloigner de nous ! Voyez de qui il est dit : « Ils sont sortis d’entre nous, mais ils n’étaient point des nôtres[9] ». On dit : « Sors », au mauvais serviteur, parce que « le serviteur ne demeure point toujours dans la maison, tandis que le Fils y demeure toujours[10] ». Voulez-vous voir que l’on dit « sors » au mauvais serviteur ? Que dit-on au bon serviteur ? « Entre dans la joie de ton Maître[11] ». Quiconque, dès lors, entend, quiconque est membre de l’Épouse du Christ, doit redouter cette parole : « Si tu ne te reconnais pas, ô la plus belle des femmes, sors et va sur les traces des troupeaux[12] ». Qu’est-ce à dire « sur les traces des troupeaux ? » Dans les erreurs humaines, et non sur la voix du Pasteur. Nous avons les traces du Pasteur, et l’on ne s’égare point en les suivant. « Le Christ a souffert pour nous, nous laissant l’exemple, afin que nous suivions ses traces[13].

  1. Dan. 9, 32.##Rem
  2. Dan. 2, 34
  3. Id. 35
  4. Psa. 107, 6
  5. Id. 40, 10
  6. Psa. 54, 13-15
  7. Can. 1, 7
  8. Psa. 2, 8
  9. 1Jn. 2, 19
  10. Jn. 8, 35
  11. Mat. 25, 21
  12. Can. 1, 7
  13. 1Pi. 2, 21