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pourrions. Autant que Dieu nous en fera la grâce, nous voulons entretenir votre charité de ce commencement des saintes Lettres dont vous venez d’entendre la lecture : « Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre[1] ». Écoutez, et faites-vous une idée de celui qui est l’ouvrier ; mais vous faire une idée de cet ouvrier, cela vous est impossible, je le sais. Considérez donc l’œuvre, et ensuite louez l’ouvrier. « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre ». Voilà l’œuvre qui est devant nous, qui est sous nos yeux, et qui fait nos délices. L’œuvre se montre, l’ouvrier se cache ; ce que l’on découvre est visible, ce que l’on aime est caché. Mais voir le monde et aimer Dieu, c’est aimer ce qui est bien supérieur à ce que l’on voit. Ce sont les yeux qui voient et le cœur qui aime. Donnons donc à l’âme la préférence sur les yeux ; car celui que nous aimons, bien qu’il se dérobe, est bien supérieur à son œuvre que nous voyons à découvert. Cherchons donc, s’il vous plaît, de quelle machine Dieu se servit, quand il fit un si grand ouvrage. La machine de l’ouvrier, c’est la parole du Maître qui commande. Cela vous étonne ? L’œuvre est du Tout-Puissant. Si donc tu cherches quel est l’ouvrier, cet ouvrier c’est Dieu. Mais qu’a-t-il fait, diras-tu ? Il a fait le ciel et la terre. Cherches-tu par quel moyen il les a faits ? Il les a faits par son Verbe qu’il n’a point fait. Car ce Verbe, par qui le ciel et la terre ont été faits, n’a pas été fait lui-même. S’il eût été fait, par qui eût-il été fait ? « Tout a été fait par lui[2] ». Si donc tout ce qui a été fait l’a été par le Verbe, assurément le Verbe, par qui tout a été fait, n’a pas été fait lui-même. D’ailleurs, voici ce que dit Moïse, serviteur de Dieu, qui nous raconte ses œuvres : « Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre ». Par quel moyen ? Par son Verbe. A-t-il fait aussi le Verbe ? Non. Mais qu’a-t-il fait ? « Au commencement était le Verbe[3] ». Déjà était le Verbe par lequel Dieu a fait, d’où il suit qu’il a fait ce qui n’était pas encore. Nous pouvons comprendre, et avec raison, que le ciel et la terre ont été faits en cet unique Verbe. Car ils ont été faits en celui-là même par qui ils ont été faits. Tel peut être, et tel on peut comprendre ce commencement dans lequel Dieu créa le ciel et la terre. Car le Verbe est aussi cette sagesse de Dieu à qui le Prophète a dit : « Vous avez tout fait dans votre sagesse[4] ». Si Dieu a tout fait dans sa sagesse, et que sans aucun doute le Fils unique de Dieu soit la sagesse de Dieu, ne doutons pas qu’il n’ait fait dans son Fils tout ce que nous voyons qu’il a fait par son Fils. Car ce même Fils est aussi le commencement ; et quand les Juifs l’interrogeaient en disant : Qui êtes-vous ? « Le commencement[5] », répondit-il. Voilà donc : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ».

2. Quant au reste des créatures, s’agit-il de les séparer ou de les coordonner, ou même de les orner, ou même de créer ce qui n’était point encore dans le ciel et sur la terre ? Dieu parle, et voilà qu’elles sont faites : « Dieu dit : Que cela soit ; et cela est[6] ». Ainsi de toutes ses œuvres. « Il a parlé, et il a été fait ainsi ; il a commandé, et tout a été fait[7] ». Parlé en quelle langue ? Pour se faire entendre, à qui parlait-il ? N’ayons point toujours du lait pour nourriture. Élevez avec nous votre esprit jusqu’à la nourriture solide. Que nul ne se figure Dieu comme un corps, ne se le figure comme un homme, ne se le figure comme un ange, bien qu’il ait ainsi apparu à nos pères, non point dans sa substance, mais dans la créature qu’il s’assujétissait ; car autrement des yeux humains n’eussent pu voir l’invisible. Cherchons ce qu’il y a de supérieur en nous, afin d’essayer d’atteindre ce qu’il y a de supérieur à tout. Ce qu’il y a de supérieur en nous, c’est l’esprit ; ce qui est supérieur à tout, c’est Dieu. Pourquoi chercher ce qui est supérieur dans les êtres inférieurs ? Élève ce qu’il y a de meilleur en toi, afin d’atteindre, si tu le peux, Celui qui est supérieur à tous. Pour moi, en effet, quand je parle, c’est à l’esprit que je m’adresse. Il est vrai que vos visages visibles, je les vois par ce corps qui me rend visible aussi ; mais au moyen de ce qui est visible pour aloi, je m’adresse à ce que je ne voyais point. J’ai en moi une parole que mon cœur a conçue, et que je veux jeter dans les oreilles. Ce que mon cœur a conçu, je veux te le dire ; ce qui est en moi, je veux le porter en toi. Mais, dis-moi, ce qui est invisible, comment le faire parvenir à ton esprit ? Je circonviens d’abord tes oreilles, portes de ton âme en quelque sorte, et comme je ne puis te jeter la parole invisible que mon cœur a conçue, je lui donne

  1. Gen. 1, 1
  2. Jn. 1, 3
  3. Id. I
  4. Psa. 103, 24
  5. Jn. 8, 25
  6. Gen. 1, saepius
  7. Psa. 32, 9