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il leur promet non-seulement la béatitude, mais la possession infinie du royaume des cieux.

2. De ces grandes béatitudes que le Sauveur nous promet, nous pouvons dire : « Celui qui peut les comprendre, qu’il comprenne[1] » ; et s’il n’est pas opprimé sous le joug de sa terrestre infidélité, qu’il tourne ses désirs vers le ciel. En effet, « le royaume des cieux souffre violence, et il n’y a que ceux qui se font violence qui puissent le conquérir[2] », c’est-à-dire ceux qui cherchent les biens éternels et non pas les biens temporels. Celui qui se sent porté à l’avarice sur la terre, qu’il tire le bien de son avarice et qu’il devienne avare des biens du ciel. Quelqu’un me dira peut-être : Comment puis-je porter jusque-là mes espérances, « de recevoir le centuple au ciel, puisque celui qui sème peu récoltera peu[3] ? » Que celui qui aimait la luxure, aime désormais la chasteté ; que celui qui était adonné à l’ivresse, observe les règles de la sobriété ; que celui qui s’était rendu l’esclave de l’orgueil et de la méchanceté, devienne l’enfant de l’humilité et de la piété. Telle est la pensée formulée par le Sauveur : « Le royaume de Dieu est au dedans de vous ; les ennemis de l’homme se trouvent dans sa propre maison[4] ». Comment cela ? Écoutez l’Apôtre : « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais si par l’esprit vous mortifiez les œuvres de la chair, vous vivrez[5] » ; car « l’arbre bon porte de bons fruits, de telle sorte qu’on connaît l’arbre à son fruit[6] ». Si donc nous sommes des arbres bons, c’est-à-dire des hommes justes, pieux, fidèles et miséricordieux, faisons des fruits de justice et de sainteté ; car si nous sommes des arbres mauvais, c’est-à-dire des hommes impies, fourbes, cupides et pécheurs, nous serons coupés et arrachés, c’est-à-dire qu’au jour du jugement nous serons frappés du glaive à deux tranchants et jetés dans les flammes éternelles.

3. Là se fera la séparation du bien et du mal, selon cette parole que nous venons d’entendre : « Quiconque écoute mes paroles et les accomplit sera assimilé à l’homme sage qui a construit sa maison sur la roche ; la pluie tombera, les flots se précipiteront, les vents déchaînés souffleront avec violence contre cette maison ; mais elle ne s’écroulera pas, parce qu’elle a été fondée sur la pierre[7] ». Notre Dieu, voulant assurer notre persévérance jusqu’à la fin et nous procurer le salut, non point par l’oisiveté, mais par le travail, termine l’énumération des béatitudes et de ses innombrables préceptes par cette conclusion : « Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, sera sauvé[8]». Cette demeure qu’il nous présente établie sur la pierre et résistant à toutes les puissances contraires, qu’est-elle autre chose que notre foi solidement fondée en Jésus-Christ, bravant toutes les tentations du démon, combattant avec les armes spirituelles, triomphant de son ennemi et méritant la couronne éternelle ? Cette demeure figure donc tout ensemble et notre foi et la sainte Église, fondée sur le nom de Jésus-Christ, selon cette parole du Sauveur à saint Pierre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle[9] ». Les torrents qui menacent de l’engloutir, ce sont les royaumes des Gentils qui, pour détruire l’Église, déchaînent contre elle de violentes persécutions auxquelles viennent prendre part les pluies abondantes figurant tous les peuples idolâtres, et les vents furieux, symboles des esprits infernaux. Mais rien de tout cela ne peut ébranler l’Église, parce qu’elle est fondée sur la pierre. La tempête se brise et se détruit par sa propre violence, mais la maison demeure inébranlable. Ainsi donc, mes frères, profitons du temps qui nous est donné pour bâtir, fondons notre foi en Jésus-Christ et entassons en nous les mérites des bonnes œuvres, afin que, à l’arrivée de la tempête ou de l’ennemi, la maison reste debout et brise les efforts de ses adversaires. Et maintenant l’ennemi est avec vous ; il se tient caché dans votre cœur, selon cette parole de l’Apôtre : « Le démon, votre ennemi, comme un lion rugissant, tourne autour de vous, cherchant à vous dévorer[10] ». Tantôt il nous séduit par ses caresses, afin de tromper notre foi ; tantôt il nous éprouve par des afflictions, afin d’ébranler notre courage ; tantôt il nous obsède de pensées mauvaises, afin de nous détourner du droit chemin. Voilà pourquoi, mes frères, celui d’entre

  1. Mat. 19, 12
  2. Id. 11, 12
  3. Id. 19,29 ; 2Co. 9, 6
  4. Luc. 17, 21 ; Mt. 10, 36
  5. Rom. 8, 13
  6. Mat. 7, 19-20
  7. Mat. 7, 24-25
  8. Id. 10, 22
  9. Id. 16, 16
  10. 1Pi. 5, 8