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avaient prédit de la passion de Jésus-Christ, devait nécessairement s’accomplir. Un seul instant, pour ainsi dire, suffit à cet accomplissement, l’instant où Jésus-Christ « s’élança comme un géant pour parcourir sa carrière[1] » ; toutefois, chaque année nous célébrons par des fêtes solennelles l’anniversaire de ces grands événements, afin d’en perpétuer le souvenir jusqu’à la consommation des siècles. Le silence ne peut donc se faire sur les crimes des Juifs, jusqu’au jour où la grande Victime viendra juger la terre, « afin qu’ils voient et connaissent Celui qu’ils ont transpercé[2] ».
2. Disons un mot de la cruauté dont les Juifs firent preuve dans la passion du Sauveur, nous parlerons ensuite de la résurrection. Le monde lui-même n’a pu considérer librement les crimes dont les Juifs se rendaient coupables à l’égard du Sauveur, et le soleil refusa sa lumière au moment où Jésus-Christ expirait sur la croix et où son âme descendait dans les enfers. Dans ce fait, aucune inconvenance, aucune incertitude ; les enfers ne peuvent voir Dieu sans la lumière, selon cette parole : « Car Dieu est la lumière, et les ténèbres ne se trouvent point en lui[3] ». Or, la lumière disparut de ce monde, selon cette autre parole : « Depuis la sixième heure jusqu’à la neuvième, les ténèbres se répandirent sur toute la terre ». O Juifs, comment osez-vous consommer votre affreux sacrilège ? Ne pensez pas, du reste, l’ensevelir dans l’ignorance et l’oubli, car la nuit elle-même apparaissant au milieu du jour, est chargée d’annoncer votre crime aux quatre coins de l’univers. Ces ombres noires sillonnent toute la terre, proclamant un horrible crime, et dans ce nouveau chaos les ténèbres publient à haute voix le plus grand de tous les forfaits. Ainsi devait être annoncée la passion du Sauveur, afin que le monde entier s’étonnât de cette miraculeuse obscurité. « Depuis la sixième heure jusqu’à la neuvième les ténèbres se répandirent sur toute la terre[4] ». Les éléments furent confondus ; une voix impérative rompit les anciens engagements. Le jour perdit ses heures, et plutôt que d’assister à la mort de son Créateur, le soleil refusa sa lumière et se couvrit d’une profonde obscurité.
3. C’est à bon droit, mes frères, que ce monde gérait et pleure, puisqu’on a renié son Dieu. Le Sauveur s’écria : « Héli, Héli, lama sabacthani, c’est-à-dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » Cette plainte céleste vous condamne, malheureux Juifs, et le châtiment que vous auriez pu détourner par des supplications assidues, retombe sur vous dans toute sa réalité. Quelle n’est pas la grandeur de ce crime dont le Sauveur demande justice à Dieu son Père contre les hommes ? « Mon Dieu », dit-il, « pourquoi m’avez-vous abandonné ? » Nous ne saurions nous méprendre, ni comme hommes, ni comme chrétiens, sur le sens de ces paroles ; le Fils n’est point abandonné par le Père, et s’il s’écrie : « Mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ?[5] » C’est pour nous montrer que la Divinité n’est point accessible aux peines corporelles. Quelques-uns des assistants disaient : « Celui-ci appelle Élie[6] ». C’est là une nouvelle preuve de l’interprétation judaïque ; il leur fallait s’attaquer à Dieu, dussent-ils pour cela recourir au mensonge et à la calomnie : « Il appelle Élie ». Le Maître invoquait-il son disciple, le Seigneur suppliait-il son serviteur, Dieu lui-même implorait-il le secours de l’homme ? Non, rien de tout cela n’était possible, et par ces paroles le Fils, renié par la terre, appelait à témoin son Père dans le ciel.
4. « Alors ils prirent une éponge imbibée de vinaigre et, la plaçant à l’extrémité d’un roseau, ils en humectaient ses lèvres[7] ». Que faites-vous, ô hommes formés du limon de la terre ? Au moment de votre création, vous n’étiez entre les mains de Dieu qu’une terre molle et un corps sans solidité, et maintenant que Dieu vous a faits le chef-d’œuvre de la création, pour le récompenser de son œuvre vous l’abreuvez de vinaigre. En sortant de ses mains vous cherchiez nourriture et appui ; il vous plaça dans le paradis terrestre et vous en rendit possesseur, était-ce pour vous apprendre à en agir ainsi à l’égard de votre Créateur ? Vous-même, ô nation juive, vous avez pu traverser, en frémissant, les flots de la mer Rouge, les eaux vous ont livré un facile passage ; le lit de la mer s’est durci sous vos pas ; est-ce donc pour cela que vous commettez contre votre Dieu cet abominable forfait ? Pendant quarante ans il a guidé votre

  1. Ps. 18, 6
  2. Jn. 19, 37
  3. 1 Jn. 1, 5
  4. Mt. 27, 45
  5. Mt. 27, 46
  6. Id.47
  7. Id.48