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Confessons donc au Seigneur son infinie miséricorde, « parce qu’il a brisé les portes d’airain et rompu les barres de fer[1] » ; il a tellement anéanti les barrières de la mort, qu’il nous a même ouvert les portes du ciel, où fut admis, aussitôt après la croix de Jésus-Christ, le larron quittant le supplice dû à ses crimes pour aller prendre possession de ce séjour destiné aux justes, et sans avoir d’autre mérite que celui d’une courte profession de foi ; tandis qu’avant la croix de Jésus-Christ, nous voyons Abraham lui-même retenu, loin du ciel, dans une sorte de captivité qui toutefois n’avait rien de commun avec celle des impies.

7. Nous lisons : « Le Christ sortit donc pour le salut de son peuple et pour la délivrance de ses élus[2] » ; son amour devait le faire descendre jusque dans les profondeurs où le genre humain s’était précipité par sa prévarication. Tel un roi qui, après avoir détruit la forteresse d’un tyran, rétablit partout la liberté, et non content de rompre les liens de tous ceux qu’enchaînait la tyrannie, descend lui-même dans la prison où gémissent les siens, et leur apporte la liberté avec sa présence ; ce serait peu pour lui de rendre ces captifs à la lumière, s’il ne venait pas lui-même dans ce lieu de ténèbres, et si de ses propres mains il ne brisait pas les chaînes de leur captivité. Quelles actions de grâces pourront être rendues au Seigneur pour tant de bienfaits ? Quel usage pouvons-nous faire de la liberté qui nous est rendue, si ce n’est de le servir librement ? Il est écrit, « Jésus-Christ a été blessé pour nos péchés, et il s’est rendu faible pour nos iniquités ; nous avons été guéris par ses souffrances[3] ». On ne saurait avoir de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis[4]. Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis[5]. Si le grain de froment, tombant dans la terre, ne meurt pas, il demeure stérile[6]. Dans le tremblement de terre de la croix, « les pierres se fendirent et les tombeaux s’ouvrirent, et un grand nombre de corps des saints qui étaient morts ressuscitèrent, et sortant de leurs tombeaux après sa résurrection, ils vinrent dans la cité sainte et apparurent à une foule d’habitants[7] ». C’est ainsi qu’un seul grain tombant dans la terre a rendu à la vie une multitude d’autres grains.

8. Ne perdons pas de vue, mes frères, l’immense rançon de notre salut. Notre vie a été renouvelée par la mort de Jésus-Christ. Tout serviteur pour lequel son maître s’est sacrifié, n’est-il pas assez précieux ? Que personne ne tente de se soustraire à cette dette de la rédemption. Jésus-Christ nous a tous rachetés, même ceux qui, aimant leur captivité, n’ont pas voulu recouvrer cette liberté que leur offrait un généreux Médiateur. Ne parlez pas ici de telle ou telle somme d’argent. Il n’a rien extrait de sa bourse, mais il a répandu son sang. À tant d’amour quelles richesses pourraient être comparées ? Pour vous il a donné, non pas son bien, mais sa propre personne. Car ce qu’il demandait, ce ne sont pas vos richesses, mais vous-mêmes. Il a subi pour vous une mort passagère, afin de vous arracher à la mort éternelle ; il a revêtu votre vie, afin de vous communiquer la sienne. Il est entré dans les limbes, afin que vous puissiez en sortir. Il a guéri nos blessures par les siennes ; par ses plaies il a fait disparaître la plaie de notre damnation. Je le dis avec joie, mes frères, il est généreux le médecin qui soigne son malade à ses frais et dépens ; qui par pur amour, non point de l’argent, mais du salut de son malade, supporte sans dégoût l’odeur et la vue des plaies d’un malade. Mais le comble du dévouement, c’est de recevoir soi-même des blessures, afin d’en guérir les autres, de s’offrir comme remède, de se laisser déchirer volontairement afin d’extraire des blessures d’autrui le virus qui s’oppose à leur guérison. C’est là ce qu’a fait Jésus-Christ, c’est jusque-là que notre Sauveur a porté le dévouement ; médecin généreux et universel, il a versé, pour le salut de tous, non pas le sang des hommes, mais son propre sang. Notre rédemption est d’autant plus grande que nous sentions moins notre captivité ; notre guérison est d’autant plus précieuse que nous connaissions moins notre maladie.

9. Tel est le mystère de la croix du Sauveur. Dans la personne d’Adam, par la transgression du précepte, le genre humain avait signé une sorte de pacte avec la mort ; mais Jésus-Christ a effacé tous nos crimes, « déchirant le texte du décret porté contre nous. Il l’a détruit en le fixant à la croix, en dépouillant les principautés et les puissances

  1. Isa 45, 2
  2. Hab. 3, 13
  3. Isa. 53, 5
  4. Jn. 15, 13
  5. Id. 11, 14
  6. Id. 12, 24
  7. Mt. 27, 51-53