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femmes » ; elle devait être élevée aux honneurs de la maternité, sans en subir les atteintes.
11. Mais, répondent les hérétiques, quelle indignité de renfermer Dieu dans le sein d’une femme, et de prétendre qu’une femme mortelle peut engendrer le Dieu immortel ? n’est-il pas insensé de soutenir que les grandes choses procèdent des petites ? Homme perfide, qui que vous soyez, voulez-vous donc que, m’appuyant sur les choses temporelles, je vous prouve qu’un être qui naît peut-être plus grand que celui qui l’engendre et peut le dépasser en valeur et en magnificence ; une telle démonstration ne pourra-t-elle enfin vous fermer la bouche et étouffer vos clameurs impudentes ? Veuillez donc me dire ce qui est le plus précieux du miel ou de l’abeille, de la mouche ou de la cire. Comparez, et vous trouverez que l’ouvrage est plus précieux que l’ouvrier, que le miel est plus précieux que la mouche, et que l’abeille, très laide en elle-même, est très-belle dans son œuvre. La reine, dit-on, n’a aucun commerce charnel, et pourtant elle produit des essaims ; son corps est des plus vils, et pourtant elle forme un miel d’une douceur extrême. Une autre comparaison : l’or naît de la terre, le ver tisse la soie, et la soie est bien plus précieuse que le ver ; le coquillage produit la perle, et la perle l’emporte de beaucoup sur le coquillage ; on teint la laine en pourpre dans le suc d’un coquillage, et pourtant la pourpre est beaucoup plus précieuse que le coquillage. Du sein des montagnes on extrait des pierres précieuses, et le prix d’une seule pierre précieuse dépasse de beaucoup la valeur même de la montagne. Dans une pierre se trouve renfermé l’éclat d’une perle, c’est là que cette perle a pris naissance ; qu’est-ce donc qu’une pierre en comparaison d’une perle ? Et pourtant celle-là engendre, et celle-ci est engendrée. C’est ainsi que de choses viles naissent des choses superbes ; les grandes naissent des petites ; les belles naissent des laides ; les plus précieuses naissent des plus communes. Pourquoi donc jugez-vous encore le sein de Marie indigne de Dieu ? Vous ne pensez pas que l’Homme Dieu ait pu naître d’une créature, quand vous venez de voir que, dans toutes les choses terrestres, ce qui engendre est souvent fort inférieur à ce qui est engendré ? Combien de fois un plébéien n’a-t-il pas donné naissance à un empereur, et un laïque à un évêque ; celui-là devenant le maître de son père, et celui-ci devenant le père spirituel de celui qui lui a donné la vie temporelle ; celui-là devenant le maître du monde, et celui-ci le père du peuple chrétien ? Mais il est quelque chose de plus extraordinaire que tout ce qui précède, quelque chose qui devrait attirer votre attention et soulever votre admiration : une vierge a conçu, une vierge a enfanté ; elle est demeurée vierge, elle n’a jamais cessé d’être vierge. Elle était vierge avant de concevoir, elle est vierge après son enfantement, elle demeure éternellement vierge.
12. La naissance du Seigneur confond l’argumentation du siècle et la sagesse de la terre. Quelle est cette argumentation ? Si Marie a enfanté, elle a connu l’homme, et le monde semble entendre cette parole sans frémir, tant est vrai ce mot de l’Apôtre : « L’homme animal ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu, car sa prétendue sagesse n’est que de la folie et il ne peut comprendre[1] ». Mais le Créateur de la nature a renversé cette argumentation et suspendu en cette circonstance la loi de la nature. Dans l’ordre ordinaire, c’est l’expérience qui fait loi ; mais quand il s’agit de la maternité de Marie, il n’y a d’autre règle à invoquer que la vertu et la grandeur du Tout-Puissant ; par conséquent, la loi ordinaire est ici sans valeur. Pourquoi ? Parce que, selon l’Apôtre, « Dieu appelle les choses qui ne sont pas, comme si elles étaient[2] ». Quelle est l’argumentation de Dieu ? Une vierge a enfanté, et pourtant elle est restée vierge, parce qu’une mère parfaite a engendré le Verbe fait chair. Mais, dit le monde, c’est folie de croire qu’une vierge ait pu enfanter, tout en restant vierge. Or, cette folie est pour nous la plus grande sagesse qui, dans ce mystère, nous saisit d’admiration ; voilà pourquoi je ne suis sage, aux yeux de Dieu, qu’en devenant insensé aux yeux du monde. Il est écrit : « Je confondrai les sages dans leur astuce[3] » ; et encore : « Le Seigneur connaît les pensées des sages, car elles sont vaines[4] ». L’apôtre saint Paul dit également : « Où est le sage ? où est le scribe ? où est l’investigateur de ce siècle ? Est-ce que le Seigneur n’a pas rendu folle

  1. 1 Cor. 2, 14
  2. Rom. 4, 17
  3. Job. 5, 13
  4. Ps. 93, 11