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difforme et laid de figure, s’il aime une belle femme ; ou bien, que fait une femme difforme, laide et noire, si elle aime un bel homme ? Son affection pour lui serait-elle capable de la rendre belle ? L’amitié que cet homme ressentira pour une belle femme, aura-t-elle le privilège de le rendre agréable à la vue ? Il aime une femme charmante, et quand il se regarde au miroir, il rougit de montrer son visage à sa belle, à celle qui possède son cœur. Que fera-t-il pour devenir beau ? Attendra-t-il que la beauté lui vienne ? Mais pendant qu’il attendra, viendra la vieillesse, qui ajoutera encore à sa laideur. Il n’est donc pas question de faire une chose ou l’autre, de donner à cet homme tel ou tel avis ; il n’a qu’un parti à prendre : s’arrêter et ne pas être assez hardi pour aimer une personne si différente de lui-même ; ou bien si, par hasard, il l’aime trop et qu’il veuille l’épouser, il doit rechercher en elle, non la beauté du corps, mais la pureté des mœurs. Mais, mes frères, le péché souille notre âme ; en aimant Dieu, elle recouvre sa beauté première. Quel amour rend pure l’âme qui en est remplie ? Pour Dieu, il est toujours beau, jamais difforme, jamais sujet à changer. Lui, qui est toujours beau, il nous a aimés le premier ! Et, en quel état nous trouvions-nous quand il nous a aimés, sinon dans un état de souillure et de difformité ? Évidemment, ce n’était point pour nous y laisser, mais pour nous en tirer, et, de difformes que nous étions, nous rendre beaux. Et comment nous revêtirons-nous de beauté ?, En aimant celui qui est toujours beau. Autant l’amour de Dieu grandit en toi, autant s’y manifeste la beauté ; car la charité est la beauté de l’âme. « Aimons Dieu, parce qu’il nous a aimés le premier ». Ecoute l’apôtre Paul : « Dieu a fait paraître son amour envers nous, puisque, quand nous étions encore pécheurs, Jésus-Christ est mort pour nous[1] ». Il était juste, et nous, injustes ; il était pur, et nous, souillés. Où trouvons-nous la preuve que Jésus était pur ? « Vous surpassez en beauté les plus beaux des enfants des hommes ; la grâce est répandue sur vos lèvres[2] ». D’où vient cette beauté ? Voyez encore d’où elle lui vient : « Il surpasse en beauté les plus beaux des enfants des hommes », parce qu’ « au commencement était le Verbe, et »que « le Verbe était en Dieu, et que le Verbe était Dieu[3] ». Mais comme il s’est fait homme, il s’est, en quelque sorte, revêtu de ta malpropreté, c’est-à-dire, il a pris ta nature mortelle, afin de se placer à ton niveau, de devenir ton égal et de te porter à aimer la beauté intérieure. Nous avons trouvé la preuve de cette beauté qui distinguait Jésus du reste des enfants des hommes. Où trouvons-nous celle de son état de souillure et de difformité ? Qui nous fait connaître qu’il a aussi été difforme ? Interroge Isaïe : « Nous l’avons vu, et il n’avait ni éclat ni beauté[4] ». Voilà deux flûtes qui semblent être en discordance ; mais c’est le même Esprit qui les remplit de son souffle. L’une dit, par l’organe du Psalmiste : « Il surpasse en beauté les plus beaux des enfants des hommes » ; l’autre dit, par la bouche d’Isaïe : « Nous l’avons vu, et il n’avait ni éclat ni beauté ». C’est le même Esprit qui a rempli de son souffle ces deux flûtes ; elles ne sont point en discordance. Ne détourne pas tes oreilles, applique ton intelligence. Interrogeons l’apôtre Paul ; il nous expliquera comment ces deux flûtes sont en accord parfait. Ecoutons : « Il surpasse en beauté les enfants des hommes, lui qui, ayant la nature de Dieu, n’a point cru que ce fût de sa part une usurpation de s’égaler à Dieu ». Voilà pour ce passage : « Il surpasse en beauté les enfants des hommes ». Ecoutons encore : « Nous l’avons vu, et il n’avait ni éclat ni beauté : il s’est humilié lui-même en prenant la forme d’esclave, en se rendant semblable aux hommes, et en se faisant reconnaître comme homme par tout ce qui a paru de lui[5] ». « Il n’avait ni beauté ni éclat », afin de te donner éclat et beauté. Quel éclat ? Quelle beauté ? La dilection de la charité, afin que tu courres en aimant, et que tu aimes en courant. Tu es déjà beau, mais ne t’arrête pas, dans la crainte de perdre ce que tu as reçu ; dirige ta course vers celui qui t’a fait beau. Sois donc beau pour qu’il t’aime à son tour. Reporte vers lui toutes les puissances de ton âme, cours à sa rencontre, empresse-toi pour recevoir ses embrassements, crains de t’éloigner de lui ; une crainte pure, et qui demeure éternellement, puisse-t-elle habiter en toi ! « Aimons Dieu, parce qu’il nous a aimés le premier ».

  1. Rom. 5, 8-9
  2. Ps. 44, 9
  3. Jn. 1, 1
  4. Isa. 53, 2
  5. Phil. 2, 6-7