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si tu méprises ton supérieur, tu te mets, par là même, sous les pieds de ton inférieur. Aussi, qu’est-ce qui a dompté l’orgueil des Égyptiens ? Des grenouilles et des mouches[1]. Pour cela, Dieu aurait pu employer des lions : mais un lion ne doit servir qu’à épouvanter des grands hommes. Autant l’orgueil les avait rendus superbes, autant furent méprisables et abjects les êtres destinés à casser leur mauvaise tête. Mais les lions ont reconnu Daniel, parce qu’il était soumis à Dieu. Eh quoi 1 n’étaient-ils pas soumis à Dieu, les martyrs qui ont combattu avec les bêtes, et qui ont été déchirés par les animaux féroces ? Les trois compagnons de Daniel étaient-ils donc des serviteurs de Dieu, et les Macchabées ne l’étaient-ils pas ? Le feu aurait-il reconnu ces trois hommes pour des serviteurs de Dieu, puisqu’il ne les a pas consumés, puisqu’il n’a pas même touché leurs vêtements[2] ? N’aurait-il pas reconnu, comme tels, les Macchabées[3] ? Mes frères, il a reconnu les Macchabées et les hommes de la fournaise. Mais il fallait que, avec la permission de Dieu, les Macchabées fussent éprouvés ; car Dieu a dit dans l’Ecriture : « Il frappe de verges tous ceux a qu’il reçoit parmi ses enfants[4] ». Pensez-vous, mes frères, que le fer aurait traversé les entrailles du Sauveur, pour venir ensuite se fixer dans le bois de sa croix, s’il ne l’avait permis ? Est-ce que sa créature ne l’a pas connu ? Ou plutôt, n’a-t-il pas voulu donner à ses disciples l’exemple de la patience ? C’est pourquoi le Seigneur a visiblement délivré quelques-uns de ses serviteurs, tandis qu’il a laissé visiblement les autres au milieu de l’épreuve.: pourtant, il les a tous délivrés spirituellement ; sous ce rapport, aucun n’a été abandonné. A en juger par l’apparence, il a semblé sauver ceux-ci et délaisser ceux-là ; et s’il en a sauvé, c’était afin qu’il ne fût pas possible de dire qu’il en était incapable. Il a donné des preuves de son pouvoir, afin que, quand il n’agit pas, tu saisisses ses intentions les moins apparentes, et que tu ne l’accuses pas d’incapacité. Mais quoi, mes frères ? Un jour viendra, où nous briserons toutes les chaînes de notre condition mortelle : alors finira le temps de l’épreuve ; alors sera écoulé le fleuve de ce siècle ; alors nous récupérerons cette robe primitive, cette immortalité que nous avons perdue par lepéché : notre corps corruptible se revêtira d’incorruptibilité, c’est-à-dire, notre chair, aujourd’hui sujette à la corruption, y échappera, et de mortelle qu’elle est maintenant, elle se revêtira d’immortalité[5] ; alors aussi, en cet endroit où il ne sera plus nécessaire d’être éprouvé et flagellé, toute créature reconnaîtra les parfaits enfants de Dieu ; alors aussi, tout nous sera soumis, pourvu que maintenant nous soyons nous-mêmes soumis à Dieu.


8. Le chrétien doit donc être ainsi disposé qu’il ne s’élève pas, dans un sentiment de vaine gloire, au-dessus des autres hommes. Dieu t’a fait la grâce d’être supérieur aux animaux, c’est-à-dire meilleur qu’eux : c’est naturel chez toi ; tu seras toujours meilleur que la bête. Mais si tu veux surpasser les autres hommes, tu porteras toujours envie à ceux qui sembleront t’égaler. Tu dois vouloir que tous les hommes soient tes égaux ; et si ta prudence l’emporte sur celle d’un autre, tu dois désirer qu’il soit lui-même prudent. Tant qu’il est peu instruit, il s’instruit à ton école : tant qu’il est ignorant, il a besoin de toi ; aussi, tu as l’air d’être le maître, et lui, le disciple ; et parce que tu l’instruis, tu es son supérieur ; et parce qu’il s’instruit auprès de toi, il est ton inférieur. A moins de désirer le voir ton égal, tu veux toujours l’avoir pour disciple ; et si tu veux toujours l’avoir pour disciple, tu seras un maître jaloux ; et si tu es jaloux de lui, comment pourras-tu l’instruire ? Je t’en conjure, ne lui enseigne pas la jalousie. Ecoute l’Apôtre, il parle du fond des entrailles de la charité : « Je voudrais que tous les hommes fussent comme moi[6] ». Comment pouvait-il vouloir que tous lui fussent égaux ? Il se montrait supérieur à tous, par cela même que la charité le portait à désirer de les avoir tous pour égaux. L’homme a donc franchi les bornes ; celui que Dieu avait placé au-dessus de tous les êtres a voulu avoir davantage encore, puisqu’il a voulu se placer au-dessus des hommes. Voilà bien l’orgueil.


9. Et voyez les admirables œuvres opérées par l’orgueil : il sait imiter la charité et agir presque comme elle, soyez-en bien convaincus. La charité nourrit celui qui a faim l’orgueil lui donne aussi des aliments ; la charité fait le bien pour la gloire de Dieu ; l’orgueil, pour sa propre gloire. La charitérevêt

  1. Ex. 8,1 ssq
  2. Dan. 3, 50
  3. 2 Mac. 7,1 ssq
  4. Héb. 12, 6
  5. 1 Cor. 15, 53, 54
  6. Id. 7, 7