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de saint Jean, ces deux passages : « L’amour est de Dieu », et « l’amour est Dieu ». Du Père seul, l’Écriture n’a jamais dit qu’il est de Dieu. Lors donc que tu lis : « Est de Dieu », tu dois l’entendre du Fils ou de l’Esprit-Saint. Et quand l’Apôtre nous dit : « La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[1] », nous devons comprendre que dans l’amour se trouve l’Esprit-Saint ; c’est cet Esprit-Saint que les méchants ne peuvent recevoir ; il est cette source dont nous parle l’Écriture : « Que la source de tes eaux appartienne à toi seul, et qu’aucun étranger ne la partage avec toi[2] ». Car tous ceux qui n’aiment pas Dieu sont des étrangers, des antéchrists ; et quoiqu’ils fréquentent les basiliques, on ne saurait les ranger au nombre des enfants de Dieu ; à eux n’appartient pas cette source de vie. Un méchant peut être baptisé, il peut même avoir le don de prophétie. Nous voyons que le roi Saül prophétisait ; il persécutait le saint homme David, et, à ce moment-là même, il fut rempli de l’esprit de prophétie, et il commença à prophétiser[3]. Un méchant peut aussi recevoir le sacrement du corps et du sang du Seigneur, car c’est de telles gens qu’il est dit : « Celui a qui boit et qui mange indignement, boit et mange sa condamnation[4]». Il peut encore porter le nom du Christ ; c’est-à-dire, s’appeler chrétien ; c’est d’eux qu’il est écrit : « Ils profanaient le nom de leur Dieu[5] ». Quant à tous ces sacrements, un méchant même peut les avoir ; mais quant à la charité, il ne l’a pas ; c’est chose impossible pour lui. Elle est donc un don personnel ; c’est une source propre à chaque particulier. L’Esprit de Dieu vous exhorte à vous y désaltérer ; l’Esprit de Dieu vous engage à l’y puiser lui-même.

7. « Dieu a fait paraître son amour pour nous ». Voilà pour nous un motif d’aimer Dieu. Pourrions-nous l’aimer, s’il ne nous avait aimés le premier ? Si nous étions lents à l’aimer les premiers, soyons, du moins, empressés à le payer de retour. Il a été le premier à nous aimer ; et nous ne l’aimons pas de même. Il nous a aimés, quoique pécheurs, mais pour nous délivrer de nos fautes ; il nous a aimés, quoique pécheurs, mais il ne nous a pas réunis pour nous donner occasion de pécher. Il nous a aimés, bien que nous fussions malades ; mais s’il nous a visités, c’était afin de nous guérir. « Dieu est donc amour. Dieu a fait paraître son amour pour nous, en envoyant son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui ». Le Sauveur a dit lui-même : « Personne ne peut donner une plus grande preuve d’amour que de sacrifier sa vie pour ses amis ». Et la preuve que le Christ nous a aimés, c’est qu’il est mort pour nous. Comment le Père nous a-t-il témoigné son affection ? En envoyant son Fils unique mourir pour nous ; aussi, Paul nous dit-il : « S’il n’a pas épargné son propre Fils, et s’il l’a livré à la mort pour nous tous, que ne nous donnera-t-il pas après nous l’avoir donné[6] ? » Le Père a livré le Christ ; Judas l’a aussi livré ; n’ont-ils pas, en quelque sorte, agi l’un comme l’autre ? Judas a été un traître ; s’ensuit-il que Dieu le Père en ait été un ? Non, dis-tu. « Il n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous ». Ces paroles ne sont pas de moi, elles sont de l’Apôtre. Non-seulement le Père a livré son Fils, mais il s’est lui-même livré. Le même Apôtre dit encore : « Il m’a aimé et s’est livré pour moi[7] ». Puisque le Père a livré son Fils, et que le Fils s’est livré lui-même, qu’a fait Judas ? La tradition du Christ a été le fait du Père, comme elle a été le fait du Fils, et aussi celui de Judas : de la part de tous trois, acte unique ; mais quelle différence entre le Père qui livre son Fils, et le Fils qui se livre lui-même, et le disciple Judas qui livre son maître ? Le Père et le Fils ont agi par charité ; Judas s’est conduit en traître. Vous le voyez ; il ne suffit pas devoir ce que fait un homme, il importe surtout de savoir quelles sont ses intentions et sa volonté. Nous voyons concourir au même acte, d’un côté, Dieu le Père, de l’autre, Judas : nous bénissons Dieu le Père ; nous maudissons Judas. Pourquoi bénir le Père et maudire Judas ? Nous bénissons la charité, nous maudissons l’iniquité. Le Christ a été livré ; quel immense avantage, en a retiré le monde ? En livrant son Maître, Judas a-t-il songé à coopérer à ce bienfait ? Dieu s’est proposé de nous sauver en nous donnant de quoi nous racheter ; Judas a voulu s’approprier la somme d’argent pour laquelle il a vendu le Christ :

  1. Rom. 5, 5
  2. Pro. 5, 16-17
  3. 1Sa. 19,1 ssq
  4. 1Co. 11, 29
  5. Eze. 36, 20
  6. Rom. 8, 32
  7. Gal. 2, 20