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en d’autres termes, il veut te donner celui qui a tiré du néant tous ces êtres, il veut se donner lui-même à toi. Mais si tu affectionnes l’œuvre de ses mains, et que tu oublies le Créateur pour aimer le monde, les sentiments de ton cœur ne seront-ils pas avec justice regardés comme adultères ?


12. Pour s’appeler monde, il n’y a pas que l’œuvre créée, sortie des mains de Dieu, et qui comprend le ciel, la terre, la mer, les choses visibles et les choses invisibles ; sous cette dénomination viennent aussi se ranger ceux qui vivent dans le monde ; c’est ainsi que le nom de maison désigne les murs et les habitants d’une demeure. Aussi faisons-nous parfois l’éloge d’un bâtiment, tout en formulant un blâme contre ceux qu’il abrite. Nous disons, en effet : Voilà une bonne maison, parce que le marbre et de superbes lambris s’y rencontrent. Et nous disons encore dans un autre sens : Voilà une bonne maison, parce que personne n’y a d’injustice à souffrir, ni de rapines à endurer, ni de mauvais traitements à supporter. Dans ce dernier cas, l’objet de nos éloges n’est pas la demeure matérielle, ce sont ceux qui l’habitent ; l’une et les autres portent néanmoins également le nom de maison. Tous les amateurs du monde habitent le monde, parce qu’ils y fixent leurs affections, comme habitent le ciel ceux dont le cœur est en haut, quoiqu’ils vivent ici-bas : tous les amateurs du monde s’appellent donc le monde ; à eux ces trois choses exclusivement, la concupiscence de la chair, la convoitise des yeux et la soif des biens de la terre. Car ils désirent boire, manger, faire l’œuvre de la chair, se rassasier de voluptés. Mais n’y a-t-il pas mesure en cela ? Ou quand on dit : N’aimez point le monde, veut-on dire : Ne mangez pas, ne buvez pas,.n’engendrez pas d’enfants ? Non, on ne vous dit pas cela ; cependant, mettez de la mesure dans vos affections, par respect pour votre Créateur ; de la sorte, l’attrait des créatures ne fera point de vous des esclaves ; vous ne les aimerez pas comme votre bien propre, car vous ne les avez reçues que pour vous en servir. On ne peut savoir où vous en êtes à cet égard, qu’au moment où l’on vous propose de deux choses l’une : celle-ci ou celle-là : la justice ou le bénéfice.— Je n’ai ni de quoi vivre, ni de quoi manger, ni de quoi boire. Eh quoi ! ne peux-tu donc te procurer tout cela sans avoir recours à l’iniquité ? Ne vaut-il pas mieux pour toi aimer ce qu’on ne peut te ravir, que te rendre coupable de péché ? Tu sais la somme que tu gagnes, mais tu ne saurais apprécier le dommage porté à ta foi. Voilà donc ce que Jean appelle la convoitise de la chair, c’est-à-dire de toutes les choses qui se rapportent au corps, comme les aliments, l’œuvre de la chair et toutes autres semblables.


13. « Et concupiscence des yeux ». Par concupiscence des yeux, l’Apôtre entend toute espèce de curiosité. En combien de manières se montre la curiosité ? Voyons-nous autre chose dans les spectacles, les théâtres, les mystères du démon, l’art de la magie, les maléfices ? Elle va aussi parfois jusqu’à tenter les serviteurs de Dieu, en les portant à vouloir presque faire des miracles, à savoir si Dieu répondra à leurs prières par quelque prodige : c’est là de la curiosité ; voilà la concupiscence des yeux : ce sentiment ne vient pas de Dieu. Si le Seigneur t’a communiqué le don des miracles, fais-en ; car cette grâce a été mise à ta disposition pour que tu en profites. Quant à ceux qui n’en font pas, ils ne seront point, à cause de cela, exclus du royaume des cieux. Un jour, les Apôtres se réjouissaient de ce que les démons leur étaient soumis ; que leur dit Jésus ? « Ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous plutôt de ce que vos noms sont écrits dans les cieux[1] ». Le Sauveur voulait voir les Apôtres puiser leur joie à la source où tu puises la tienne. Car, malheur à toi si ton nom n’est pas écrit dans les cieux ! Mais pourrais-je bien dire : Malheur à toi, si tu n’as ressuscité aucun mort ? si tu n’as point marché sur les eaux de la mer ? si tu n’as pas chassé de démons ? Si tu as reçu le pouvoir d’opérer ces prodiges, use de ce pouvoir humblement, sans orgueil ; car le Sauveur a dit, même de certains Prophètes, qu’ils feraient des miracles et des choses étonnantes[2]. N’ambitionnons donc pas les avantages du monde ; car ce désir immodéré est orgueil ; l’homme ambitieux cherche sa gloire dans les honneurs, il se croit grand par cela même qu’il est riche ou qu’il jouit d’une certaine autorité. Voilà les trois passions de l’homme. En dehors de cette convoitisede

  1. Lc. 10, 20
  2. Mt. 24, 24