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amour, est incapable de nous conduire au salut. La science enfle, la charité édifie[1]. Si vous prétendez confesser de bouche sans aimer, vous ressemblez déjà aux démons. Les démons reconnaissaient hautement le Fils de Dieu, et disaient : « Qu’y a-t-il entre toi et nous[2] ? » Et ils se voyaient repoussés. Confessez-le, et l’affectionnez. Les démons le craignaient en raison de leurs iniquités. Pour vous, aimez-le, car il vous a pardonné vos fautes. Mais comment pouvons-nous aimer Dieu, si nous aimons le monde ? Il nous dispose donc à devenir la demeure de la charité. Il y a deux amours, celui du monde et celui de Dieu ; si l’amour du monde habite en nous, il n’y a plus de place pour l’amour de Dieu ; que celui du monde s’éloigne de notre cœur, que celui de Dieu y habite ; donnons-y place au meilleur des deux ; dès lors que tu auras retiré ton âme du milieu des affections terrestres, tu puiseras à la source de l’amour.divin, et alors habitera en toi la charité qui ne peut aucunement engendrer le mal. L’Apôtre émonde maintenant nos cœurs ; écoutez donc ses paroles. Pour lui, le cœur humain est comme un champ ; mais dans quel état le trouve-t-il ? S’il y rencontre des épines, il les arrache ; si ce champ lui apparaît bien émondé, il y fait une plantation. Il veut y planter un arbre, la charité. Quelles épines veut-il en arracher ? L’amour du monde. Jean veut donc débarrasser le champ de ce malfaisant buisson ; écoute-le : « N’aimez point le monde », et il ajoute : « ni ce qui est dans le inonde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’habite point en lui ».


9. Vous l’avez entendu : « Si quelqu’un aime le monde, l’amour de Dieu n’habite point en lui ». Mes frères, que personne d’entre nous ne taxe intérieurement de fausseté ces paroles : elles viennent de Dieu lui-même ; en les prononçant, l’Apôtre n’est que l’organe de l’Esprit-Saint ; par conséquent, rien de plus vrai. « Si quelqu’un aime le monde, l’amour de Dieu n’est point en lui ». Veux-tu posséder l’amour de Dieu, pour devenir le cohéritier de son Fils ? N’aime pas le monde, débarrasse-toi de ce misérable attachement aux choses de la terre ; ainsi acquerras-tu l’amour de Dieu. Tu es un vase, mais un vase encore plein ; répands au dehors ce quetu contiens, et l’on te remplira de ce que tu ne contiens pas encore. Évidemment nos frères ont reçu dans l’eau et le Saint-Esprit une nouvelle naissance que nous y avons nous-mêmes puisée depuis un certain nombre d’années. Il nous est avantageux à tous de ne pas aimer le monde, car les sacrements serviraient à nous faire condamner, au lieu de nous affermir dans la voie qui mène au salut. Être affermi dans le chemin du salut, c’est être enraciné dans la charité ; c’est avoir la vigueur, et non pas seulement l’apparence de la piété. Cette apparence est déjà précieuse, elle est sainte ; mais à quoi bon l’apparence sans la racine de la charité ? Ne jette-t-on pas au feu le sarment qu’on a retranché du cep ? Aie donc cette forme de la piété, mais qu’elle soit soutenue par la charité. Or, comment vous enraciner de manière a ne pas être déracinés ? Attachez-vous à la charité, selon l’expression de l’Apôtre Paul : « Soyez enracinés et fondés dans la charité[3] ». Et toutefois, par quel moyen s’enracinera-t-elle en nous au milieu des ronces et des épines que l’amour du monde y fait croître en foule ? Arrachez tous ces buissons sauvages : vous devez jeter dans le champ de votre âme une semence qui réclame beaucoup de terrain ; il n’y faut, par conséquent, rien laisser dont cette semence puisse souffrir ; voici qui nous aidera à défricher le champ de votre âme ; ce sont les paroles de Jean, précédemment citées : « N’aimez ni le monde, ni ce qui est dans le monde ; si quelqu’un aime le monde, la charité du Père n’est point en lui.


10. « Car tout ce qui est dans le monde, est ou convoitise de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie », trois choses distinctes, « et tout cela ne vient point du Père, mais du monde ; or, le monde passe, et, aussi, sa concupiscence, mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement ». Pourquoi n’aimerais-je pas ce que Dieu a fait ? Que veux-tu ? Aimer les choses du temps et passer avec lui, ou ne pas aimer le monde et vivre éternellement avec Dieu ? Il y a danger à se laisser entraîner par le courant des choses de ce temps ; mais l’on a vu apparaître comme un arbre, sur le bord de ce fleuve rapide : c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il a pris un corps, il est mort, ressuscité et monté au

  1. 1 Cor. 8, 1
  2. Mt. 8, 29
  3. Eph. 3, 17