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Médiateur entre Dieu et les hommes ; c’est à lui que s’applique cette prédiction des livres saints : C’est un homme, et qui est-ce qui le reconnaîtra ? En effet, les hommes qui servaient d’instruments pour le faire mourir n’apercevaient point sa divinité à travers le voile de son humanité. Comme homme, il se laissait voir, mais il ne se laissait point reconnaître comme Dieu. Celui qui endurait toutes ces souffrances, c’était l’homme qu’on voyait. Celui qui en réglait l’ordre et la nature, c’était ce Dieu qui se cachait. Il vit donc que tout ce qui devait avoir lieu avant qu’il prit le vinaigre et rendît l’esprit, était consommé ; il voulut aussi accomplir ce qu’avait dit l’Écriture : « Et dans ma soif, ils m’ont abreuvé de vinaigre [1] ». Il dit donc : « J’ai soif », ou, en d’autres termes : Vous m’avez donné ce vinaigre ; c’est trop peu : donnez-moi ce que vous êtes. Les Juifs, en effet, étaient du véritable vinaigre ; les Patriarches et les Prophètes étaient du vin. Mais eux avaient dégénéré ; ils étaient remplis de l’iniquité de ce monde comme de la surabondance d’un vase qui déborde, et leur cœur, pareil à une éponge, recelait la duplicité méchante dans ses profonds et tortueux recoins. L’hysope à laquelle ils avaient attaché l’éponge pleine de vinaigre, est une plante de très-médiocre grandeur et qui purge le corps humain ; elle est le parfait emblème de l’humilité du Christ ; ils l’enveloppèrent avec l’éponge, et ils crurent avoir réussi à circonvenir Jésus. Voilà pourquoi le Psalmiste a dit : « Arrosez-moi avec l’hysope, et je serai purifié[2] ». De fait, l’humilité du Christ nous purifie, car s’il ne s’était point humilié lui-même en se faisant obéissant jusqu’à la mort de la croix[3], son sang n’aurait certainement pas été répandu pour la rémission de nos péchés, c’est-à-dire pour notre purification.

5. Ne soyons point surpris de ce qu’on a pu approcher une éponge des lèvres d’un homme élevé sur la croix à une certaine hauteur au-dessus de terre ; Jean n’en a pas fait mention, mais les autres Évangélistes l’ont raconté : c’est à l’aide d’un roseau[4] qu’on a pu faire parvenir dans une éponge, jusqu’au sommet de la croix, un pareil breuvage. Ce roseau était l’emblème de l’Écriture, qui se trouvait accomplie par ce fait. Comme tout ce que profère la langue porte le nom de langue grecque, de langue latine ou de toute autre, qui laisse échapper des sons qui ont un sens ; de même, on peut donner le nom de roseau à toute Écriture formée au moyen de roseau. Suivant la manière la plus ordinaire de s’exprimer, on appelle langue les sons pourvus de sens qu’émet la voix humaine ; il n’est guère d’usage de désigner l’Écriture parle nom de roseau : aussi cette façon de parler n’est-elle que l’indice plus certain d’un grand mystère. Un peuple impie se livrait à ces voies de fait ; plein de miséricorde, le Christ les supportait. Celui qui agissait ne savait ce qu’il faisait ; mais celui qui souffrait n’ignorait ni ce qui avait lieu, ni la cause pour laquelle ces événements se passaient : je dirai plus, il tirait le bien du mal que faisaient ses bourreaux.
6. « Lors donc que Jésus eut pris le vinaigre, il dit : Tout est consommé ». Quoi ? ce que les Prophètes avaient annoncé si longtemps d’avance. Rien ne restait plus à accomplir avant sa mort ; celui qui avait le pouvoir de quitter son âme et de la reprendre à nouveau[5], semblait attendre que tout ce qui devait avoir lieu s’accomplît : « ayant » donc « incliné la tête, il rendit l’esprit ». Qui est-ce qui s’endort à son gré, comme Jésus est mort au moment qu’il a choisi ? Qui est-ce qui se dépouille d’un vêtement quand il le veut, comme Jésus s’est dépouillé de son corps à l’heure voulue par lui ? Qui est-ce qui s’en va selon son désir, comme Jésus est sorti de ce monde lorsqu’il y a consenti ? Et si, en mourant, il a manifesté une pareille puissance, combien nous devons craindre ou désirer les effets de celle qu’il déploiera en venant nous juger !

  1. Psa. 68, 22
  2. Id. 50, 8
  3. Phi. 2, 8
  4. Mat. 28, 48 ; Marc, 15, 36
  5. Jn. 10, 18