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en un » ; mais il ajoute : « Afin que le monde croie que c’est vous qui m’avez envoyé ». Dans le second passage, au contraire, il dit : « Afin qu’ils soient consommés en un », et il n’ajoute pas : « Afin que le monde croie » ; mais bien : « Afin que le monde connaisse que c’est vous qui m’avez envoyé ». En effet, tant que nous croyons ce que nous ne voyons pas, nous ne sommes point encore consommés en science comme nous le serons quand nous aurons mérité de voir ce que nous croyons. C’est donc avec une singulière justesse d’expression qu’il dit d’abord : « Afin que le monde croie » ; et ensuite : « Afin que le monde connaisse », et ici et là,« que c’est vous qui m’avez envoyé ». Par là, il veut nous apprendre qu’il appartient à l’amour inséparable du Père et du Fils de nous faire croire maintenant ce que notre foi tend à nous faire connaître. S’il disait Afin qu’ils connaissent que c’est vous qui m’avez envoyé, ce serait la même chose que ce qu’il dit : « Afin que le monde connaisse ». Car c’est d’eux que se compose le monde, non pas le monde persévéramment ennemi de Dieu, qui est prédestiné à la damnation, mais le monde devenu son ami après avoir été son ennemi, et à cause duquel Dieu était en Jésus-Christ se réconciliant le monde à lui-même. Voilà pourquoi il dit : « Je suis en eux et vous en moi » ; c’est comme s’il disait : Je suis en ceux vers lesquels vous m’avez envoyé, et vous êtes en moi vous réconciliant le monde par moi.
5. C’est pourquoi Notre-Seigneur ajoute ce qui suit : « Et vous les avez aimés comme vous m’avez aimé moi-même ». C’est dans le Fils que le Père nous aime, parce que c’est en lui qu’il nous a élus avant la constitution du monde [1]. Celui en effet qui aime son Fils unique, aime aussi assurément les membres de ce Fils qu’il a adoptés en lui et par lui. Toutefois, de ce qu’il a dit : « Vous les avez aimés comme moi-même », il ne suit nullement que nous soyons semblables au Fils unique qui nous a créés et régénérés. Car en disant : telle chose est comme telle autre, on ne veut pas toujours dire qu’il y ait une égalité parfaite entre les deux. Quelquefois on veut seulement dire : Telle chose existe à cause de telle autre, ou bien : Telle chose existe, afin que telle autre existe aussi. Qui oserait dire, par exemple, que les Apôtres ont été envoyés dans le monde par Jésus-Christ de la même manière que Jésus-Christ y a été envoyé par son Père ? Je ne veux signaler d’autre différence que celle-ci, car il serait trop long d’énumérer les autres. Au moment où le Sauveur envoyait ses Apôtres, ils étaient déjà hommes ; or, Notre-Seigneur a été envoyé pour devenir homme ; n’a-t-il pas dit pourtant un peu plus haut : « Comme vous m’avez envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde [2] ? » C’était donc dire en d’autres termes : Parce que vous m’avez envoyé, je les ai envoyés. De même en est-il de ce passage : « Vous les avez aimés, comme vous m’avez aimé moi-même » ; ces paroles ne signifient que ceci : Vous les avez aimés, parce que vous m’avez aimé moi-même. Car celui qui aime le Fils doit nécessairement aimer ses membres, et le seul motif pour lequel le Père aime les membres du Fils, c’est qu’il aime le Fils lui-même. Mais il aime le Fils en tant que Dieu, parce qu’il l’a engendré semblable à lui ; il l’aime aussi en tant qu’homme, parce que son Verbe, qui est son Fils unique, s’est fait chair, et qu’à cause du Verbe la chair du Verbe est l’objet de ses affections. Pour nous, il nous aime, parce que nous sommes les membres de Celui qu’il aime, et afin que nous devenions ses membres, il nous a aimés avant que nous fussions.
6. C’est pourquoi l’amour que Dieu nous porte est incompréhensible et immuable. Car ce n’est pas du moment que nous lui avons été réconciliés par le sang de son Fils, que date son amour pour nous, mais il nous a aimés avant la constitution du monde pour que, conjointement avec son Fils unique, nous fussions aussi ses fils ; alors nous n’étions rien. De ce que la mort de son Fils nous a réconciliés avec lui, nous ne devons pas conclure qu’après nous avoir haïs, le Père ait commencé de nous aimer seulement au moment de notre réconciliation ; il aurait, en cela, imité la conduite d’un ennemi qui se réconcilie avec son ennemi, de manière à être désormais des amis, de manière à s’aimer mutuellement, après s’être réciproquement détestés. Nous avons été réconciliés à un Dieu qui nous aimait déjà et avec qui nous nous trouvions en inimitié à cause du péché. En parlant ainsi,

  1. Eph. 1, 4
  2. Jn. 17, 18