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d’autrui, mais bien par les siennes. Consentir en effet au péché d’un autre, c’est pécher toi-même ; et dès lors tu n’as plus à te plaindre d’être accablé par les péchés d’autrui. On te répondra qu’en effet tu es accablé, mais par les tiens. Tu as vu un voleur et tu as couru avec lui[1], dit l’Écriture. Qu’est-ce à dire ? Que tes pieds ont marché pour commettre le vol ? Point du tout ; mais que ton intention était unie à celle du voleur. Ce qui n’était une faute que pour lui, est devenu faute pour toi, par ton assentiment. Mais au contraire, si son péché t’a déplu, et que tu aies prié pour lui, si tu lui as pardonné sur ses instances, de sorte que tu puisses prononcer sans trembler cette parole enseignée par le Souverain Législateur : « Remettez-nous nos dettes comme nous remettons à ceux qui nous doivent[2] », tu as appris à porter les fardeaux de ton frère, afin qu’un autre porte aussi ceux que tu pourras avoir, et que s’accomplisse entre vous ce mot de l’Apôtre : « Portez mutuellement vos fardeaux et vous accomplirez ainsi la loi du Christ[3] ». Ainsi tu chanteras avec assurance : « Seigneur, je vous ai attendu à cause de votre loi ».
5. Quiconque n’observe point cette loi, n’attend point le Seigneur ; et quand même il l’attendrait, s’il ne l’attend à cause de cette loi, son attente est vaine ; le Seigneur viendra sans doute, et trouvera tes péchés. Tu crois avoir vécu dans une justice parfaite, et dès lors il ne trouvera point l’homicide en toi. C’est un grand crime, en effet, un crime énorme. Il ne trouvera point l’adultère ; il ne trouvera point le vol, il ne trouvera point la rapine, il ne trouvera point l’idolâtrie ; voilà ce qu’il ne trouvera point : n’est-il donc rien qu’il puisse trouver ? Écoute la parole de l’Évangile : « Quiconque dira à son frère : Tu es un fou ». Qui donc est exempt de ces fautes légères de la langue ? Elles sont légères, diras-tu. « Celui-là », dit le Sauveur, « sera condamné au feu de l’enfer[4] ». Si, dire à ton frère : Tu es un fou, te paraissait une faute légère, que du moins le feu de l’enfer soit pour toi quelque chose dc grand. Si tu dédaignais une faute légère, que la gravité du châtiment t’effraie du moins. Mais, diras-tu encore, ce sont là des fautes légères, des minuties dont la vie ne saurait être exempte. Réunis ces minuties, elles seront des montagnes. Des grains de blé sont petits, et forment néanmoins une grande masse ; des gouttes d’eau sont petites, et néanmoins elles forment des fleuves qui entraînent les chaussées. L’interlocuteur, considérant combien sont nombreuses les fautes légères que l’homme commet chaque jour, sinon autrement, du moins par la pensée et par la langue, considérant que si elles ne sont point graves séparément, du moins, réunies, elles forment une grande masse, effrayé plus encore de la fragilité humaine que de ses fautes passées, « Seigneur », dit-il, « du fond de l’abîme j’ai crié vers vous ; Seigneur, écoutez ma voix. Que vos oreilles soient attentives à la voix de ma « prière, Si vous tenez un compte exact des iniquités, qui pourra subsister, ô mon Dieu ? » Je puis éviter les homicides, les adultères, les rapines, les parjures, les maléfices, l’idolâtrie. Mais les péchés de la langue ? Mais les péchés du cœur ? Il est écrit que « le péché c’est l’iniquité[5] ; qui donc pourra subsister, si vous tenez un compte exact des iniquités ? » Si vous voulez être pour nous un juge sévère, non un père miséricordieux, qui pourra soutenir votre présence ? mais « en vous il y a propitiation, et je vous ai attendu à cause de votre loi ». Quelle est cette loi ? « Portez mutuellement vos fardeaux, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ[6] ». Quels hommes portent mutuellement leurs fardeaux ? Ceux qui disent à Dieu en toute fidélité : « Remettez-nous nos dettes, comme « nous remettons à ceux qui nous doivent[7] ».
6. « Mon âme a attendu à cause de votre parole »[8]. Nul n’attend, sinon celui qui n’a point reçu encore ce qu’on lui avait promis. Qu’attendrait celui qui a déjà reçu ? Nous avons reçu la rémission des péchés, mais Dieu nous a promis en outre le royaume des cieux. Nos péchés sont effacés, mais la récompense est encore à venir le pardon est accordé, mais nous ne possédons point encore la vie éternelle. Or, celui qui nous a pardonné est le même qui nous a promis la vie sans fin. Si c’était une promesse humaine, il y aurait à craindre ; mais c’est la promesse de Dieu qui est infaillible. Nous attendons dès lors en toute sécurité sa parole qui ne saurait nous tromper. « Mon âme a espéré dans le Seigneur, depuis la veille du matin jusqu’à la nuit ». Que signifie cette parole ?

  1. Ps. 49,18
  2. Mt. 6,12
  3. Gal. 6,2
  4. Mt. 5,22
  5. Jn. 3,4
  6. Gal. 6,2
  7. Mt. 6,12
  8. Ps. 129,5-6