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« de Jérusalem ». Car ces biens en question ne sont pas ceux de Jérusalem ; veux-tu le comprendre ? Il a été dit, même aux oiseaux : « Croissez et multipliez[1] ». Serait-ce donc un grand bonheur pour toi qu’un bonheur donné aux oiseaux ? C’est la voix de Dieu qui le leur a donné, qui en doute ? Use de ces biens, si Dieu te les donne ; et pense à bien élever ceux qui sont nés plus encore que ceux qui doivent naître. Le vrai bonheur n’est pas d’avoir des enfants, mais d’en avoir de bons. Si donc tu en as, aie soin de les bien élever ; si tu n’en as point, bénis le Seigneur. Tes inquiétudes en seront moindres, et toi, fils d’une telle mère, tu ne seras point stérile. Peut-être donneras-tu à cette mère des enfants spirituels qui seront comme de jeunes oliviers autour de la table du Seigneur. Que le Seigneur donc te console et te montre les biens de Jérusalem. On peut dire en effet de ces biens qu’ils sont. Pourquoi sont-ils ? parce qu’ils sont éternels. Pourquoi sont-ils ? parce que voici le Roi. « Je suis celui qui suis[2] ». Quant aux biens de la terre, ils sont, et ne sont point ; car ils ne demeurent point, ils passent et s’écoulent. Tu as des petits enfants, tu leur fais des caresses qu’ils te rendent bientôt ; or, demeurent-ils en cet état ? Mais tu veux les voir grandir et avancer en âge. Mais qu’un nouvel âge arrive, et le précédent n’existe plus. L’enfance disparaît quand vient la jeunesse ; la jeunesse disparaît quand vient l’âge viril ; l’âge viril disparaît quand arrive la vieillesse, et tout âge disparaît quand vient la mort. Autant d’âges tu souhaiteras dans tes enfants, et autant de morts tu appelles pour les âges qui suivront. Tout cela n’existe donc point. De plus, tes enfants sont-ils nés pour vivre avec toi sur la terre, et non pas plutôt pour prendre ta place et te succéder ? Et tu te réjouis de voir naître ceux qui te chasseront bientôt ? Dès qu’ils sont nés, ces enfants semblent dire à leurs parents : Songez à vous retirer, c’est à nous maintenant de jouer notre rôle. Car cette vie humaine, pleine de tentations, n’est qu’un rôle, puisque « tout homme vivant sur la terre n’est que vanité[3] ». Si l’on se réjouit d’avoir des enfants qui nous succéderont, combien plus faudra-t-il nous réjouir de ces enfants avec qui nous devons demeurer toujours, et de ce Père dont nous sommes les enfants, et qui ne doit point mourir, mais avec qui nous vivrons à jamais ! Voilà les biens de Jérusalem, qui sont réellement. « Que le Seigneur donc te bénisse de Sion, et puisses-tu voir les biens de Jérusalem ». Car ces biens sensibles, tu ne les vois pas quand tu es aveugle. Puisses-tu voir les biens que voit le cœur ! Et combien de temps verrai-je les biens de Jérusalem ? « Tous les jours de ta vie ». Donc si ta vie est éternelle, tu verras éternellement les biens de Jérusalem. Quant aux biens d’ici-bas, mes frères, s’ils sont réellement des biens, vous ne sauriez les voir toute votre vie, car vous ne mourez point, lorsque l’âme se retire du corps. Vous vivez encore, et si le corps est mort, l’âme ne cesse de vivre. Les yeux ne voient plus, parce que l’âme qui voyait par ces yeux s’est retirée ; mais quelque part que soit cette âme qui voyait par les yeux, elle voit quelque chose. Cet homme riche, qui se revêtait en cette vie de pourpre et de fin lin, n’était point mort au-delà de cette vie, autrement il n’eût pas été tourmenté dans l’enfer[4]. Peut-être la mort eût-elle été à désirer pour lui, mais il vivait dans l’enfer pour son propre malheur. Car il était tourmenté et ne voyait pas les biens qu’il avait quittés sur la terre ; telle était alors sa vie qu’il ne les voyait plus. Toi donc, désire des biens que tu puisses voir « tous les jours de ta vie », c’est-à-dire avec lesquels tu puisses vivre éternellement.
16. Écoutez donc, mes frères, quels sont ces véritables biens, Peut-on dire de ces biens : C’est de l’or, c’est de l’argent, c’est une campagne agréable, ce sont des murailles de marbre, des lambris dorés ? Point du tout. Les pauvres ont mieux que cela en cette vie. Car le ciel semé d’étoiles est plus beau pour le pauvre, que pour le riche son toit doré. Quel est donc, mes frères, ce bien qui embrase nos désirs, après lequel nous soupirons avec tant d’ardeur ; pour la vue, pour la jouissance duquel nous endurons tant de travaux ? car vous venez d’entendre de saint Paul, que, « tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ souffriront persécution[5] » Si le diable ne sévit plus contre nous au moyen des rois, les chrétiens n’en sont pas moins persécutés. Les persécutions ne doivent cesser qu’à la condition que le diable cessera lui-

  1. Gen. 10,22
  2. Exod. 3,14
  3. Ps. 38,6
  4. Lc. 16,19-23
  5. 2 Tim. 3,12