Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/80

Cette page n’a pas encore été corrigée

auquel nous avons été fiancés, est absent en quelque sorte, il est absent Celui qui nous a donné l’Esprit-Saint pour gage de sa fidélité, absent Celui qui nous a rachetés au prix de son sang ; cet Époux que rien n’égale en beauté, et qui a néanmoins paru souillé entre les mains des persécuteurs, comme le disait tout à l’heure Isaïe : « Nous l’avons vu, et il n’avait ni apparence ni beauté[1] ». Est-il donc difforme cet Époux ? Point du tout. Comment alors pourraient l’aimer ces vierges qui ont renoncé à tout autre Époux sur la terre ? Il ne fut donc difforme que pour ses persécuteurs, et s’ils ne l’eussent en effet trouvé difforme, ils ne l’eussent point assailli, ni flagellé, ni couronné d’épines, ni déshonoré de crachats ; mais comme il avait de la laideur à leurs yeux, ils le traitèrent de la sorte, car leurs yeux n’étaient point capables de voir la beauté du Christ. Pour quels yeux le Christ a-t-il donc une beauté ? Quels yeux lui-même recherchait-il, quand il disait à Philippe « Voilà si longtemps que je suis avec vous, et vous ne m’avez point encore vu[2] ? » Ces yeux doivent être purifiés, afin de voir cette lumière : qu’un faible rayon les touche quelque peu, et pris d’amour pour cette lumière, ils veulent être guéris afin de pouvoir la contempler. Et pour vous montrer qu’il y a une beauté qui nous fait aimer le Christ, le Prophète a dit : « Il surpasse en beauté les enfants des hommes[3] ». Sa beauté éclipse toute beauté humaine. Qu’est-ce que nous aimons dans le Christ ? Ses membres cloués à la croix, son côté entr’ouvert, ou son amour pour nous ? Quand on nous dit qu’il est mort pour nous, qu’est-ce que nous aimons ? Son amour. Il nous a aimés afin que nous lui rendions son amour ; et afin que nous puissions le lui rendre, il nous a visités par son Esprit-Saint, Il est donc beau, mais il est absent. Que l’Épouse s’interroge et voie si elle est chaste. Nous sommes tous dans son corps, mes frères, tous nous sommes ses membres, et dès lors nous ne formons qu’un seul homme. Que chacun voie de quelle crainte il est animé ; de la crainte que bannit l’amour, ou de la crainte chaste qui demeure dans le siècle des siècles. Il l’a vu déjà, et j’ajoute qu’il va le voir encore. L’Époux donc est absent, interroge ta conscience. Veux-tu qu’il vienne, ou veux-tu qu’il retarde ? Voyez, mes frères, voilà que je frappe à la porte de vos cœurs ; mais c’est lui qui entend votre réponse. Quelle que soit en chacun de vous la réponse de votre conscience, elle ne peut arriver jusqu’à moi, car je suis un homme ; mais il l’a entendue, celui qui est absent, il est vrai, puisque nous ne le voyons point corporellement, et qui est présent néanmoins par la puissance de sa majesté. Que l’on dise : Voici le Christ, à demain le jugement ; hélas ! combien peu diraient : Qu’il vienne au plus vite ! C’est le langage des cœurs pleins d’amour. Qu’on leur dise au contraire : Il est loin encore, ils craignent tout délai, parce que leur crainte est chaste. Comme ils craignent maintenant qu’il ne tarde trop, dès qu’il sera venu, ils craindront qu’il ne s’éloigne. Mais cette crainte sera chaste encore, parce qu’elle sera tranquille et pleine de confiance. Car cet Époux ne nous abandonne pas aussitôt après nous avoir trouvés, lui qui nous cherchait, avant que nous eussions la pensée de le chercher. Voilà donc, mes frères, le propre de la crainte chaste, elle vient de l’amour. Mais la crainte qui n’est point encore chaste, redoute la présence et les peines. Celui qui en est là, fait par crainte le bien qu’il fait ; sans redouter de perdre le souverain bien, il craint de subir le souverain mal. Il ne craint point de perdre les saints embrassements de l’Époux le plus beau, mais il craint d’être jeté dans l’enter. Cette crainte est bonne, sans doute, elle est utile, mais elle ne subsistera point dans les siècles des siècles ; elle n’est point encore la crainte chaste qui doit subsister toujours.
9. En quoi donc est-elle chaste ? Je vous fais une question qui vous donnera le moyen de vous interroger vous-mêmes. Si Dieu venait nous interroger de sa propre bouche, quoiqu’il ne cesse de nous parler dans les saintes Écritures, s’il disait à l’homme : Tu veux pécher, pèche à ton gré, fais ce qu’il te plaît ; que tout ce que tu aimes sur la terre soit à toi ; que l’ennemi que tu veux perdre soit exterminé ; que ceux que tu voudras dépouiller soient dépouillés ; qu’ils soient frappés ceux que tu voudras frapper, condamnés ceux que tu voudras condamner ; à toi, ceux que tu veux avoir ; que nul ne te résiste et ne te dise : Que fais-tu ? nul : Pourquoi agir de la sorte ? nul : Pourquoi as-tu fait cela ? Que tous les biens terrestres tant désirés soient en abondance chez toi, vis paisiblement au

  1. Isa. 53,2
  2. Jn. 14,9
  3. Ps. 44,3