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« Quelle est celle-ci qui monte toute blanche[1] ? » Elle est blanchie, parce qu’elle a été renouvelée ; et par quoi l’a-t-elle été, sinon par le commandement nouveau ? C’est pourquoi les membres dont elle se compose sont pleins de sollicitude les uns pour les autres ; et si un membre souffre, tous les autres souffrent avec lui ; et si, au contraire, un membre est glorifié, tous les membres s’en réjouissent avec lui[2]. Car ils écoutent et observent ces paroles : « Je vous donne un commandement nouveau, de vous aimer les uns les autres » ; non pas de la manière dont s’aiment ceux qui se corrompent, non pas de la manière dont s’aiment les hommes, parce qu’ils sont hommes ; mais de cet amour qu’ils doivent avoir parce qu’ils sont tous des dieux et les fils du Très-Haut, et qu’ils veulent être les frères de son Fils unique : car ils doivent s’aimer entre eux, comme les a aimés Celui qui les conduira à la seule fin capable de leur suffire et de satisfaire leurs désirs dans le bien[3]. Alors, en effet, rien ne manquera à nos désirs, puisque Dieu sera toutes choses en tous[4]. Une telle fin n’a pas de fin. Là personne ne meurt, car personne n’y arrive qu’il ne soit mort au monde, non de cette mort commune à tous, et qui sépare l’âme du corps, mais de la mort des élus, qui même encore dans cette chair mortelle, élève le cœur jusqu’au ciel. Parlant de cette sorte de mort, l’Apôtre disait : « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ[5] ». C’est peut-être pour cela qu’il est dit : « L’amour est fort comme la mort [6] ». Par l’effet de cet amour il arrive que, retenus encore en ce corps corruptible, nous mourons au monde, et que notre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ ; et même en cet amour consistent précisément notre mort au monde et notre vie avec Dieu. En effet, si la mort arrive quand l’âme se sépare du corps, comment n’y aurait-il pas mort, quand notre amour sort de ce monde ? L’amour est donc fort comme la mort. Qu’y a-t-il de plus fort que ce qui nous fait vaincre le monde ?
2. Ne pensez pas, mes frères, qu’en disant à ses disciples : « Je vous donne un commandement nouveau, de vous aimer les uns les autres », le Christ ait omis le commandement le plus important, qui est d’aimer le Seigneur notre Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre esprit. Il semblerait, en effet, qu’il l’a passé sous silence, puisqu’il leur a dit : « de s’aimer les uns les autres ». On croirait aussi que ce commandement n’a aucun rapport avec celui qui nous dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Car ces deux commandements », nous dit Notre-Seigneur, « renferment toute la loi et les Prophètes [7] ». Mais pour qui les entend comme il faut, ces deux préceptes sont renfermés fun dans l’autre. En effet, celui qui aime Dieu ne peut mépriser le commandement qu’il nous fait d’aimer le prochain ; et celui qui aime le prochain saintement et selon le Saint-Esprit, qu’aime-t-il en lui si ce n’est Dieu ? Tel est l’amour, éloigné de toute affection mondaine, que Notre-Seigneur a voulu nous indiquer lorsqu’il a ajouté : « Comme je vous ai aimés ». Car qu’est-ce que Jésus-Christ a aimé en nous, si ce n’est Dieu ? Non pas que nous possédions Dieu en nous-mêmes ; mais il nous a aimés pour nous amener à le posséder, et nous conduire, comme je l’ai dit tout à l’heure, là où Dieu sera toutes choses en tous. On dit, de la même manière, qu’un médecin aime bien ses malades. Ce qu’il aime en eux, c’est la santé qu’il cherche à leur rendre, et non pas la maladie dont il cherche à les délivrer. Aimons-nous les uns les autres, de telle sorte que, selon notre pouvoir et par l’effet de cet amour, nous nous poussions les uns les autres à posséder Dieu en nous. Cet amour nous vient de celui qui a dit : « Comme je vous ai aimés, afin que vous aussi vous vous aimiez les uns les autres ». Il nous a donc aimés pour que nous nous aimions les uns les autres, et par cet amour qu’il nous a porté, il nous a obtenu la grâce de nous aimer mutuellement, et en nous unissant par ces doux liens, il nous a mérité celle de ne former qu’un seul corps dont il est lui-même la tête.
3. « En cela », dit-il, « tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres ». C’est comme si le Seigneur leur eût dit : Ceux qui ne sont pas mes disciples ne laissent pas d’avoir part à mes autres bienfaits ; non seulement ils ont la nature humaine, la vie, la raison et jouissent de cette conservation qui est commune aux hommes et aux bêtes, ils ont

  1. Cant. 8, 5, suiv. les Septante
  2. 1 Cor. 12, 25-26
  3. Ps. 102, 5
  4. 1 Cor. 15, 28
  5. Col. 3, 3
  6. Cant. 8, 6
  7. Mt. 12, 37-40