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cesser d’être juste. Croyez-moi, mes frères, et que l’objet de vos affections devienne pour cous un moyen de me comprendre. L’un d’entre vous aime l’argent. Est-il possible de trouver un homme qui ne l’aime pas ? Par cela même qu’il aime l’argent, il peut saisir la portée de mes paroles. Il craint de perdre. Pourquoi craint-il de perdre ? Parce que l’argent possède ses affections. Plus il aime l’argent, plus il a peur d’en perdre. On trouve donc des amateurs de la justice dont le cœur est plus troublé par la crainte de perdre le trésor de la justice, que le tien ne peut l’être par la peur de perdre ton argent. Voilà une crainte pure, une crainte qui subsiste pendant l’éternité. L’amour ne la chasse pas, ne s’en débarrasse pas, loin de là : il s’y attache, au contraire, très-étroitement ; il s’en fait une inséparable compagne. Nous nous sommes approchés de Dieu pour le voir face à face : la crainte pure nous maintient à côté de lui, car au lieu d’apporter en nous le trouble, elle nous affermit. La femme adultère craint de voir revenir son mari : la femme chaste éprouve aussi une crainte, mais c’est la crainte de voir partir son époux.
8. Si vous considérez la tentation sous un point de vue, vous pouvez dire que « Dieu ne tente personne », et si vous la considérez sous un autre aspect, vous pouvez encore dire que « le Seigneur votre Dieu vous tente ». Il en est de même de la crainte : dans un sens, « la crainte n’est pas avec l’amour, mais, l’amour parfait chasse la crainte ». Dans un autre sens, « la crainte du Seigneur est chaste, aussi demeure-t-elle dans les siècles des siècles ». Ainsi, encore, y a-t-il jugement et jugement : sous un rapport, « le Père ne juge personne, mais il a donné tout le jugement au Fils ». Sous un autre, le Sauveur dit : Je ne cherche pas ma gloire : il y a quelqu’un pour la chercher et juger ».
9. Il nous faut maintenant résoudre la difficulté relative au jugement. Tu trouves mentionné dans l’Évangile le jugement pénal : « Celui qui ne croit pas est déjà jugé [1] » ; et ailleurs encore : « L’heure vient, où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu ; et ceux qui auront bien fait, en sortiront pour la résurrection de la vie ; mais ceux qui auront mal fait, pour la résurrection du jugement[2] ». Vous le voyez le Sauveur a parlé ici du jugement dans le sens de la condamnation et du châtiment. Néanmoins, si ce mot devait être toujours pris dans ce sens, le Psalmiste aurait-il dit : « Jugez-moi, Seigneur ? » Évidemment, jugement signifie, tantôt la condamnation à la peine, tantôt le discernement. Comment signifie-t-il le discernement ? Comme l’explique celui qui a dit : « Seigneur, jugez-moi ». Car, continue à lire et vois ce qui suit. Qu’est-ce à dire : « O Dieu, jugez-moi ? et discernez ma cause de celle d’un peuple impie [3] ». Ce que dit le Prophète : « Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma cause de celle d’un peuple impie », a le même sens que ce que dit ici le Seigneur Christ : « Je ne cherche pas ma gloire. il y a quelqu’un pour la chercher et juger ». Comment « y a-t-il quelqu’un qui a la cherche et qui juge ? » J’ai un Père qui discerne et sépare ma gloire de la vôtre. Vous vous glorifiez d’une manière mondaine ; moi, je ne me glorifie point par rapport à ce monde, puisque je dis à mon Père : « Père, glorifiez-moi de cette gloire que j’ai eue en vous, avant que le monde fût[4] ». Qu’est-ce à dire, « de cette gloire ? » de la gloire opposée à l’orgueil humain. C’est en ce sens que le Père juge. Comment juge-t-il ? Il discerne. Que discerne-t-il ? La gloire de son Fils de celle des hommes : voilà pourquoi il est écrit : « Dieu, votre Dieu, vous a sacré d’une onction de joie qui vous élève au-dessus de tous ceux qui doivent la partager[5] ». De ce qu’il s’est fait homme, il ne suit pas qu’il doive nous être comparé. Nous sommes pécheurs, et il est sans péché ; nous avons reçu d’Adam, comme un héritage, la mort et le péché ; une vierge lui a donné son corps mortel, mais ne lui a transmis aucune iniquité. Enfin, nous ne sommes pas venus en ce monde pour l’avoir voulu ; ce n’est pas nous qui donnons des limites à notre existence nous ne mourons pas au gré de nos désirs. Avant de naître, le Christ a choisi sa mère après sa naissance, il s’est fait adorer par les Mages : enfant, il a grandi, et tandis qu’on n’apercevait en lui qu’un homme, il prouvait, par des miracles, qu’il était Dieu. Enfin, il a choisi le genre de sa mort ; ou, en d’autres termes, il a décidé qu’il serait attaché à une croix, et qu’il imprimerait le signe de cette croix sur le front de ses disciples, en sorte

  1. Jn. 3, 18
  2. Id. 5, 28-29
  3. Ps. 42, 1
  4. Jn. 17, 5
  5. Ps. 44, 8