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en eux ? Ils l’ont vu dans leur père. Quand, par les versets suivants, nous aurons clairement appris quel est leur père, nous comprendrons ce qu’ils ont vu en un tel père ; pour le moment, il n’en prononce pas encore le nom. Un peu auparavant, il a parlé d’Abraham, mais comme source de leur existence charnelle, et non comme modèle de leur vie spirituelle ; il nommera leur autre père, celui qui ne les a pas engendrés, celui qui ne les a pas faits hommes, mais dont ils étaient les fils, sinon en tant qu’hommes, du moins en tant qu’hommes méchants ; sinon en tant que sa race, du moins en tant que ses imitateurs.
3. « Ils répondirent et lui dirent : Notre « père est Abraham » ; ou, en d’autres termes : Qu’as-tu à dire contre Abraham ? ou bien encore : Si tu es capable de quelque chose, ose le reprendre. Rien n’empêchait le Sauveur d’oser reprendre Abraham, mais il n’avait aucun reproche à lui faire ; le Christ n’avait que des louanges à lui adresser. Cependant ses interlocuteurs semblaient le provoquer pour lui faire dire du mal d’Abraham, et trouver eux-mêmes en cela l’occasion d’agir à son égard suivant leurs désirs. « Abraham est notre père ».
4. Écoutons la réponse que leur fit le Sauveur ; voyons comment il louangea Abraham, tout en les condamnant. Jésus leur dit : « Si vous êtes les enfants d’Abraham, faites les œuvres d’Abraham. Or, maintenant, vous cherchez à me faire mourir, moi qui suis un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de Dieu. Abraham n’a pas fait cela ». Je vois ici l’éloge d’Abraham et la condamnation des Juifs. Abraham n’était pas un homicide. Je ne dis pas que je suis le Dieu d’Abraham ; si je parlais ainsi, je dirais la vérité. Le Christ avait dit en un autre endroit : « Avant qu’Abraham fût, moi, je suis [1] ». Et les Juifs avaient voulu le lapider. 2 ne leur adressa donc point cette parole. Tel que vous me voyez, tel que vous me regardez, tel que vous me croyez être sans apercevoir autre chose en moi, je suis un homme ; et cet homme qui vous dit ce qu’il a entendu de Dieu, pourquoi voulez-vous le faire mourir, sinon parce que vous n’êtes pas les enfants d’Abraham ? Il avait pourtant dit tout à l’heure : « Je sais que vous êtes enfants d’Abraham ». Il ne nie pas leur origine, mais il condamne leurs actes ; ils tenaient de lui leur existence corporelle, mais il était étranger à leur manière de se conduire.
5. Pour nous, mes très chers, sommes-nous sortis de la race d’Abraham, ou bien, n’est-il en rien notre père selon la chair ? Corporellement parlant, les Juifs viennent de lui, comme de leur source ; mais les chrétiens n’en descendent pas. Nous sommes venus des autres nations ; néanmoins, nous descendons d’Abraham par l’imitation de ses vertus. Écoute l’Apôtre : « Les promesses de Dieu ont été faites à Abraham et à celui qui devait naître de lui. L’Écriture ne dit pas : Et à ceux qui naîtront, comme si elle en eût voulu marquer plusieurs ; mais elle dit, comme parlant d’un seul : Et à celui qui naîtra de vous, c’est-à-dire au Christ. Maintenant, si vous appartenez au Christ, vous êtes la race d’Abraham et ses héritiers selon la promesse de Dieu [2] ». Par la grâce de Dieu, nous sommes donc devenus les enfants d’Abraham ; ce n’est pas dans la descendance naturelle d’Abraham que Dieu a choisi pour son Christ des cohéritiers ; il a déshérité les uns de cette descendance et adopté les autres. De cet olivier dont les racines s’étendent jusqu’aux patriarches, il a retranché les branches naturelles desséchées par l’orgueil, pour y greffer l’humble olivier sauvage[3]. Aussi, lorsque les Juifs vinrent demander le baptême à Jean, il se déchaîna contre eux et s’écria : « Race de vipères ! » Ils se glorifiaient surtout de la noblesse de leur origine ; pour lui, il les appela : « race de vipères » ; c’eût été trop de dire : Race d’hommes ; ils n’étaient qu’une « race de vipères ». Ses regards tombaient sur des hommes, mais il connaissait la malignité de leur venin. Parce qu’ils étaient venus pour se faire baptiser, ils devaient au moins se convertir ; c’est pourquoi Jean leur dit : « Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère qui s’approche ? Faites donc de dignes fruits de pénitence, et gardez-vous de dire en vous-mêmes : Nous avons Abraham pour père ; car je vous dis que Dieu peut susciter de ces pierres mêmes des enfants d’Abraham[4] ». Si vous ne faites pas de dignes fruits de pénitence, ne vous flattez pas de votre origine ; car Dieu est assez puissant pour vous condamner et susciter à Abraham une autre descendance ;

  1. Jn. 41, 58
  2. Gal. 3, 16, 29
  3. Rom. 11, 17
  4. Mt. 3, 7-9