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car le Christ était venu pour sauver le monde, et non pour le juger [1]. Mais ces autres paroles : « J’ai beaucoup de choses à dire et à juger à votre endroit », concernent le jugement à venir ; car il est monté au ciel, afin de venir plus tard pour juger les vivants et les morts. Personne ne jugera avec plus de justice, que celui qui a été injustement jugé. « J’ai beaucoup de choses à dire et à juger à votre endroit, mais celui qui m’a envoyé est véridique ». Voyez comme le Fils, qui est égal à son Père, travaille à lui rendre gloire. Il nous donne l’exemple et semble nous parler dans le secret de notre cœur. Homme fidèle, te dit le Seigneur ton Dieu, écoute mon Évangile, tu y verras qu’au commencement était le Verbe, que le Verbe est Dieu en Dieu, égal à son Père, coéternel à celui qui l’engendre, que je suis ce Verbe et que je glorifie celui dont je suis le Fils. Pourquoi donc te montrer orgueilleux à l’égard de Celui dont tu es le serviteur ?
7. « J’ai beaucoup de choses à dire et à juger à votre endroit, mais celui qui m’a envoyé est véridique ». C’était dire en d’autres termes : Je juge selon la vérité, parce que je suis le Fils d’un Père qui est véridique, parce que je suis la vérité. Le Père est véridique, le Fils est la vérité ; que pouvons-nous imaginer de plus ? De ces deux choses, être véridique ou être la vérité même, laquelle des deux l’emporte sur l’autre ? Décidons, si nous le pouvons. Cherchons, par quelques exemples, à le comprendre. Un homme pieux est-il pieux ou bien est-il la piété ? Il vaut mieux être la piété même qu’être pieux : pieux vient de piété, et piété ne dérive pas de pieux. En effet, la piété peut exister encore, lors même que l’homme, autrefois pieux, serait devenu impie. Il a perdu la piété, mais il ne lui a rien fait perdre. Il en est de même de ces deux choses : être beau et être la beauté même ; il vaut mieux être la beauté qu’être beau ; car la beauté fait le bel homme, tandis que le bel homme ne fait pas la beauté. Raisonnons encore de la même manière sur ces deux autres états : être chaste et être la chasteté même. Évidemment, la chasteté est préférable à la qualité de personne chaste : si la chasteté n’existait pas, comment un homme pourrait-il être chaste ? Jamais il ne posséderait cette vertu ; mais si quelqu’un veut être impudique, elle n’en souffre aucune atteinte. La piété a donc plus de prix que la qualité d’homme pieux, la beauté vaut mieux que la qualité d’homme beau, la chasteté est préférable à la qualité d’homme chaste. Mais dirons-nous, pour cela, que la vérité est plus que la qualité de personne véridique ? Si nous le prétendons, nous affirmerons déjà que le Fils est supérieur au Père ; or, le Sauveur a fait cette déclaration formelle : « Je suis la voie, la vérité et la vie [2] ». Si le Fils est la vérité, que sera le Père, sinon ce qu’en a dit la Vérité même : « Celui qui m’a envoyé est véridique ? » Le Fils est la vérité, le Père est véridique. Je cherche à savoir en quoi le Fils est supérieur au Père, et je les trouve égaux : le Père est véridique, non pas en ce sens qu’il ne posséderait en lui-même qu’une partie de la vérité, mais en ce sens qu’il l’a engendrée tout entière.
8. Je le vois, il me faudrait épuiser le sujet ; mais afin de ne pas vous retenir trop longtemps, je n’irai pas aujourd’hui plus loin dans mes explications, et quand, avec la grâce de Dieu, je serai arrivé à la fin de ce que je veux dire, je me bornerai là. Je vous parle ainsi pour ranimer votre attention. Parce qu’elle est sujette au changement, et quoiqu’elle soit une créature d’élite, toute âme est une créature ; elle a beau être plus estimable que le corps, elle n’en est pas moins sortie des mains du Créateur. Toute âme est sujette à des vicissitudes, c’est-à-dire que tantôt elle croit et tantôt elle ne croit pas ; elle veut aujourd’hui, et bientôt ne voudra plus ; tout à l’heure elle était chaste, elle est maintenant adultère ; tour à tour elle se montre bonne et mauvaise : elle subit donc des variations dans son être. Pour Dieu, il est ce qu’if est ; aussi s’est-il réservé un nom qui ne convient qu’à lui seul : « Je suis Celui qui suis[3] ». Le Fils est aussi ce qu’il est, car il a dit : « Si vous ne croyez pas que je suis » ; à cela se rapportent encore ces paroles : « Qui es-tu ? – Le Principe[4] ». Dieu est donc immuable, et l’âme humaine est sujette au changement. Quand elle puise en Dieu la bonté, elle devient bonne par participation avec lui, de la même manière que ton œil aperçoit les objets en entrant en

  1. Jn. 12, 47
  2. Jn. 14, 6
  3. Ex. 3, 14
  4. Jn. 8, 21, 25