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cœurs ne sont pas en haut. « Vous êtes d’en bas, et moi je suis d’en haut : vous êtes de ce monde, et moi je ne suis pas de ce monde ». Comment serait-il du monde, celui qui a créé le monde ? Ceux-là sont du monde, qui ont été créés après lui : le monde est sorti en premier lieu du néant, par conséquent l’homme est du monde. Quant au Christ, il était d’abord, le monde fut ensuite. Avant le monde était le Christ : avant le Christ, rien, parce qu’ « au commencement était le Verbe, et que toutes choses ont été faites par lui [1] ». Voilà pourquoi il était d’en haut. D’en haut ? De l’air ? Non ; c’est là que volent les oiseaux. Du ciel que nous voyons ? Non plus : Le soleil, la lune, les étoiles en parcourent l’espace. De l’armée des anges ? Gardez-vous de le croire : il a créé les anges puisqu’il a créé toutes choses. Comment donc le Christ est-il d’en haut ? Il est du Père lui-même. Rien de supérieur à ce Dieu qui a engendré un Verbe égal à lui, coéternel avec lui, Fils unique, indépendant du temps, parole par laquelle il devait créer tous les temps. Pour comprendre comment le Christ est d’en haut, il faut donc t’élever par la pensée au-dessus de tout ce qui a été fait, de toutes les créatures, de tous les êtres matériels, de tous les esprits créés, de toutes les choses susceptibles d’un changement quelconque. Élève-toi au-dessus de tout cela, comme Jean s’est élevé lui-même pour en tenir à dire : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ».
5. « Moi », dit le Sauveur, « je suis d’en haut. Vous êtes de ce monde, et moi, je ne suis pas de ce monde ». Il nous a montré, mes frères, ce que nous devons entendre par ces paroles : « Vous êtes de ce monde ». Il a dit aux Juifs : « Vous êtes de ce monde », parce qu’ils étaient des hommes pécheurs, iniques, infidèles, remplis de pensées toutes terrestres. Car, quant aux saints Apôtres, que cous en semble ? Quelle distance entre les Juifs et les Apôtres ! La même qu’entre les ténèbres et la lumière, la foi et l’infidélité, la piété et l’impiété, l’espérance et le désespoir, la charité et la cupidité. Encore une fois, quelle différence entre eux ! Eh quoi ! parce qu’ils étaient si loin de se ressembler, les Apôtres n’étaient-ils pas de ce monde ? Soutiens-toi de la manière dont leur naissance a eu lieu, de l’endroit d’où ils sont sortis, et tu verras qu’ils descendaient tous d’Adam, et qu’en conséquence ils étaient de ce monde. Mais quel langage leur a tenu le Sauveur ? « Je vous ai choisis et tirés du milieu du monde [2] ». Ces hommes, qui étaient du monde, y sont devenus étrangers, et ils ont alors commencé à appartenir à Celui qui a créé le monde. Mais les Juifs ont continué à être du monde ; c’est pourquoi il leur a été dit : « Vous mourrez dans vos péchés ».
6. Que personne d’entre nous, mes frères, ne dise : Je ne suis pas du monde. Par cela même que tu es homme, tu es nécessairement du monde ; mais celui qui l’a créé, est venu sur la terre et t’a délivré de ce monde. Si tu mets tes délices en ce monde, tu persistes à vouloir rester immonde : si, au contraire, il ne t’inspire que du dégoût, tu es déjà pur. Si, néanmoins, par suite de quelque passion, le monde te charme encore, puisse celui qui purifie les âmes habiter en toi, et tu deviendras pur ; et dès lors que rien ne souillera ton cœur, tu ne seras plus du monde, et à toi ne s’adresseront plus ces paroles adressées aux Juifs : « Vous mourrez dans vos péchés ». Nous sommes tous nés dans l’état de péché à la prévarication originale nous avons ajouté les fautes de notre propre vie, et, par là, nous avons multiplié les liens qui nous attachaient au monde, lorsque nos parents nous ont donné le jour. Où en serions-nous, si Celui que ne souillait aucun péché n’était venu nous délivrer de tous les nôtres ? Puisque les Juifs ne croyaient pas en lui, c’est donc avec raison qu’il leur a dit : « Vous mourrez dans vos péchés ». Vous êtes nés dans le péché ; il vous est donc absolument impossible d’être exempts de péché : si, cependant, vous voulez croire en moi, malgré que vous soyez nés dans le péché, vous n’y mourrez pas. Tout le malheur des Juifs consistait donc, non point à être dans l’état du péché, mais à y mourir. Et voilà ce que doit éviter tout chrétien : voilà pourquoi on s’empresse de recevoir le baptême : telle est la raison pour laquelle l’homme dangereusement malade ou exposé à un péril quelconque, demande les secours de la religion : tel est encore le motif qui engage les mères à porter pieusement à l’Église leurs petits enfants, elles ne veulent point les voir sortir de

  1. Jn. 1, 1, 3
  2. Jn. 15, 19