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TRENTE-SIXIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CE PASSAGE : « VOUS JUGEZ SELON LA CHAIR ; MOI, JE NE JUGE PERSONNE », JUSQU’À CET AUTRE : « JE RENDS TÉMOIGNAGE DE MOI-MÊME, ET LE PÈRE, QUI M’A ENVOYÉ, REND TÉMOIGNAGE DE MOI ». (Chap. 8,15-18.)

LE CHRIST, UN AVEC LE PÈRE.

Il y a deux natures en Jésus-Christ, mais les Juifs, qui jugent selon la chair, n’en reconnaissent qu’une. Le Sauveur ne les imite pas, il ne juge personne, il se montre miséricordieux jusqu’à la mort de la croix, et s’il juge il ne se trompe nullement, car son Père est avec lui. C’est là un mystère puisé par saint Jean dans le sein même de Dieu et qu’il est difficile de saisir ; mais c’est une vérité catholique. Le Christ n’est donc pas seul, car, s’il est homme, il est en même temps Dieu, et, comme tel, une même chose avec le Père, inséparable de lui, quoique personne distincte ; dès lors qu’il se rend témoignage, sa parole est vraie, puisqu’elle est la parole du Père et l’oracle de l’Esprit-Saint.


1. Des quatre Évangiles, ou plutôt des quatre livres du même Évangile, le plus levé et le plus sublime, à beaucoup près, est celui de Jean, Cet apôtre a été justement, et dans un sens spirituel, comparé à un aigle ; aussi son livre a-t-il surpassé les trois autres, et en s’élevant au-dessus d’eux a-t-il lui-même voulu nous engager à porter haut nos affections. En effet, les autres Évangélistes semblaient marcher sur la terre avec Jésus-Christ considéré comme homme ; mais Jean, en quelque sorte honteux de se traîner ici-bas, a élevé la voix à tel point que, dès le commencement de son écrit, il s’est placé, non seulement au-dessus de la terre, de l’air et des astres, mais même au-dessus de l’armée des anges et de toutes les puissances invisibles établies de Dieu ; il est ainsi arrivé jusqu’à Celui qui a créé toutes choses, car il a dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe, était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait[1] ». Le reste de son Évangile est digne d’un si beau commencement. Comme un oiseau, il a pris son vol, et il a parlé de la divinité du Sauveur. Il n’a fait, en cela, que nous rendre ce qu’il avait puisé à la source de la vérité. Évidemment, il ne nous a pas sans raison raconté, en parlant de lui, dans son Évangile, qu’à la dernière Cène il avait reposé sur la poitrine du Seigneur [2]. Appuyé sur le cœur de Jésus, il y puisait un secret breuvage ; mais ce breuvage ignoré, il nous l’a fait connaître en nous le distribuant. Il a enseigné à toutes les nations, non seulement l’incarnation du Fils de Dieu, sa passion et sa résurrection, mais ce qu’il était avant de se faire homme : Fils unique du Père, son Verbe, coéternel à Celui qui l’a engendré, égal à Celui qui l’a envoyé, mais devenu, par son incarnation, inférieur à son Père et moins grand que lui.
2. Tout ce que vous avez entendu dire de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans un sens de faiblesse, appliquez-le donc à l’homme dont il s’est revêtu, à ce qu’il est devenu à cause de nous, et non à ce qu’il était quand il nous a créés. Mais si l’on vous dit de lui de grandes choses, des choses plus élevées que toutes les créatures, des choses divines ; si vous lisez dans l’Évangile, ou si l’on vous avertit que, d’après ces pages sacrées, il est égal et coéternel au Père, comprenez-le bien, les passages placés sous vos yeux ont trait à la nature divine, et non à sa forme d’esclave. Tous ceux d’entre vous qui comprennent mes paroles, doivent observer cette manière d’interpréter l’Écriture ; tous ne les comprennent pas, mais c’est pour tous une obligation de croire ce qu’ils ne sont pas à même de saisir ; en observant la règle d’interprétation que je viens de donner, vous marcherez comme au sein de la lumière, et vous repousserez sûrement les attaques mensongères d’hérétiques plongés dans les ténèbres. On a vu des hommes se borner à lire les passages de l’Évangile, relatifs aux abaissements du Sauveur, et devenir

  1. Jn. 1, 1-3
  2. Id. 13, 23