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étais plongé, si toutefois elle t’a éveillé. Lève-toi et marche. Peut-être cherches-tu à marcher sans le pouvoir, parce que tu as mal aux pieds ? Pourquoi tes pieds sont-ils si sensibles ? L’avarice les aurait-elle forcés à courir en des sentiers pierreux ? Mais le Verbe de Dieu a guéri même les boiteux. Mes pieds, dis-tu, sont en bon état, mais c’est le chemin que je ne vois pas. Le Sauveur a aussi éclairé les aveugles.
10. Tout cela est l’effet de la foi, et elle l’opère en nous pendant que nous vivons de telle vie terrestre, et que nous voyageons ici-bas, loin du Seigneur ; mais lorsque nous lurons parcouru toute l’étendue du chemin, et que nous serons arrivés dans la patrie, y aura-t-il pour nous un motif plus puissant de joie, une source de bonheur plus féconde ? Non, parce qu’une tranquillité sans pareille y sera notre partage, parce que l’homme n’y éprouvera aucune contrariété. Il nous est, maintenant, mes frères, bien difficile de l’avoir pas à combattre. Dieu nous appelle à la concorde. Il nous ordonne d’avoir la paix avec nos semblables : tel doit être le but de nos efforts ; c’est de ce côté qu’il nous, faut tendre par tous les moyens possibles : par là nous parviendrons un jour à la paix la plus complète. Quoi qu’il en soit, nous en sommes aujourd’hui à lutter le plus souvent même avec ceux à qui nous voulons faire du bien. Celui-ci est égaré, tu veux le ramener dans le bon chemin : il te résiste, tu entres en discussion avec lui. S’il est païen, tu attaques le culte des idoles et des démons ; s’il est hérétique, tu bats en brèche les autres erreurs, qui procèdent du diable ; si c’est un mauvais catholique, qui ne veut pas mener une bonne conduite, tu fais la guerre aux penchants désordonnés du cœur de ton frère : il habite avec toi la même maison, et il cherche des voies détournées ; aussi t’échauffes-tu à le ramener au bien, afin de pouvoir rendre, à son sujet, au souverain Maître de l’un et de l’autre, un compte satisfaisant. Quelle nécessité se présente de toutes parts de lutter avec nos semblables ! Bien souvent, accablé de tristesse, on se dit à soi-même : Pourquoi faut-il que je rencontre autant de contradicteurs, et que je supporte des gens qui me rendent le mal pour le bien ? Je veux travailler à les sauver, et ils veulent périr ; ma vie se consume à lutter avec eux ; la paix m’est étrangère ; de plus, ceux que je devrais compter au nombre de mes amis s’ils voulaient faire attention au bien que je veux leur procurer, j’en fais des ennemis acharnés. Pourquoi souffrir ainsi ? Je me retournerai vers moi, je serai à moi seul, j’invoquerai mon Dieu. Rentre en toi-même, tu y trouveras encore la guerre ; et si tu as commencé à suivre le Sauveur, tu rencontreras encore des combats. — Quelle lutte m’attend au-dedans de moi ? – La chair a des désirs contraires à ceux de l’esprit, et l’esprit en a de contraires à ceux de la chair [1]. Te voilà seul avec toi, n’ayant rien à souffrir de la part de personne, mais tu ressens dans tes membres une loi tout opposée à celle de ton esprit, et qui te retient captif sous la loi du péché à laquelle tes membres obéissent. Elève donc la voix : du milieu de cette lutte intérieure, crie vers le Seigneur demande-lui de te rendre la paix : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur [2] ». Parce que, dit le Sauveur, « celui qui me suit ne marchera point « dans les ténèbres ; mais il aura la lumière de vie ». Quand sera fini le combat, alors succédera l’immortalité, car « la mort sera le dernier ennemi détruit ». Et de quelle paix jouira-t-on en ce moment ? « Il faut que ce corps corruptible soit revêtu d’incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité [3] ». Pour parvenir à ce séjour où nous jouirons plus tard de la réalité, suivons aujourd’hui, par nos espérances, celui qui nous a dit : « Je suis la lumière du monde : celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de vie ».

  1. Gal. 5, 17
  2. Rom. 7, 23-25
  3. 1 Cor. 15, 26, 53