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l’intérieur ? Il est donc parfaitement certain que l’homme préfère son âme à son corps, et, comme il agit pour lui-même, il agit aussi pour les autres ; il donne aussi la préférence à leur âme. Qu’aime-t-on, en effet, dans un ami ? Où est l’affection la plus sincère et la plus pure ? Qu’aime-t-on davantage dans un ami ? Est-ce l’âme ? Est-ce le corps ? Si tu aimes sa foi, tu aimes son âme ; si tu aimes sa bienveillance, le siège n’en est-il pas dans son âme ? Tu en affectionnes un autre, parce qu’il t’affectionne lui-même : fais-tu autre chose que chérir son âme ? Pourquoi ? Parce que l’affection qu’il ressent pour toi procède de son âme, et non pas de son corps. Tu l’aimes parce qu’il t’aime : vois d’où procède son amour pour toi, et tu sauras ce que tu chéris en lui. Ce qu’on affectionne le plus, on ne le voit donc pas.
3. Je vais vous dire autre chose, pour faire mieux comprendre à votre dilection combien on aime une âme, et quelle préférence on lui accorde sur le corps. Les libertins qui trouvent leur plaisir dans la beauté du corps, et chez qui la forme des membres allume une passion impure, les libertins aiment plus vivement lorsqu’ils se sentent payés de retour. Si au contraire un pareil homme donne son affection à une malheureuse créature, et qu’il s’en voie repoussé, alors la haine pour elle l’emporte dans son cœur sur l’amour. Pourquoi la déteste-t-il plus qu’il ne l’affectionne ? Parce qu’elle ne lui rend point en amour ce qu’il en dépense pour elle. Si ceux qui aiment les corps veulent être aimés à leur tour, si ce qui leur cause la plus douce jouissance, c’est d’être aimés, que penser de ceux qui chérissent les âmes ? Et puisqu’il en est pour aimer si passionnément les âmes, que dire des hommes qui aiment Dieu, auteur de la beauté des âmes ? De même, en effet, que l’âme est l’ornement du corps, ainsi Dieu est-il l’ornement de l’âme. On aime un corps uniquement pour l’âme qui l’anime ; qu’elle s’en retire, il devient un hideux cadavre à tes yeux, et si vivement que tu aies aimé ses membres à cause de leur beauté, tu te hâtes de les rendre à la terre. De là il suit que l’ornement du corps, c’est l’âme, et que l’ornement de l’âme, c’est Dieu.
4. Le Seigneur nous crie donc de nous approcher de lui, et de boire si nous avons soif, et il nous dit que, lorsque nous aurons bu, des fleuves d’eau vive jailliront de notre sein. Le sein intérieur de l’homme, c’est sa conscience, c’est le sanctuaire de son cœur : dès qu’il a pris ce précieux breuvage, sa conscience purifiée retrouve la vie ; à force de puiser, elle rencontrera la source elle deviendra elle-même une source. Qu’est-ce que cette source, qu’est-ce que ce fleuve qui jaillit du sein de l’homme intérieur ? C’est cette bienveillance qui le porte à se rendre utile au prochain ; car s’il s’imagine que ce qu’il boit ne doit profiter qu’à lui-même, c’est que l’eau vive ne jaillit pas de son sein : si, au contraire, il s’empresse de faire du bien au prochain ; la source, loin de tarir, coule en abondance. Voyons maintenant en quoi consiste ce breuvage de ceux qui croient en Notre-Seigneur, parce qu’à coup sûr noue sommes chrétiens, et que si nous croyons, nous buvons. Chacun de nous doit rentrer en lui-même, examiner s’il boit, et voir si ce qu’il boit le fait vivre. Car la source ne s’éloigne de nous qu’autant que nous nous éloignons d’elle.
5. J’en ai fait la remarque : l’Évangéliste a fait connaître la raison pour laquelle le Sauveur avait crié, le breuvage qu’il avait invité à recevoir, ce qu’il avait promis à ceux qui boiraient ; il nous l’a expliqué en ces termes : « Or, il disait cela à cause de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui, car le Saint-Esprit n’était pas encore donné, parce que Jésus n’était pas encore glorifié ». Qu’appelle-t-il l’Esprit, sinon l’Esprit-Saint ? Tout homme possède en lui-même un esprit qui lui est propre ; j’en parlais tout à l’heure en vous entretenant de l’âme humaine. L’âme de chacun de nous est notre esprit propre voici ce qu’en dit l’apôtre saint Paul : « Qui, d’entre les hommes, connaît ce qui est dans l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui ? » Puis il ajoute : « De même personne ne connaît ce qui est en Dieu, sinon l’esprit de Dieu [1] ». Il n’y a, pour connaître ce qui nous concerne, que notre esprit. Et de fait, je ne connais pas plus tes pensées que tu ne connais les miennes : les pensées secrètes de notre âme sont notre propriété personnelle : l’esprit d’un chacun en est le témoin. « De même, personne ne connaît ce qui est en Dieu, sinon l’Esprit de Dieu ». Nous sommes avec notre esprit : Dieu est

  1. 1 Cor. 2, 11