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passé de la mort à la vie, et je ne viens pas au jugement ; et si je m’exprime ainsi, ce n’est point par l’effet de ma présomption, mais en conséquence des promesses de mon Sauveur. – Paul parle donc d’une manière différente de celle du Christ ? Le serviteur se met donc en contradiction avec son Seigneur, le disciple avec son maître, et l’homme avec Dieu ? Le Christ n’a-t-il pas dit, en effet : « Celui qui écoute et qui croit, passe de la mort à la vie, et ne viendra pas au jugement ? » D’un autre côté, à entendre l’Apôtre, « ne faut-il pas que nous comparaissions tous au tribunal de Jésus-Christ ? » En vérité, si celui-là ne vient pas en jugement, qui comparaît devant un tribunal, c’est à n’y plus rien comprendre.
5. Le Seigneur notre Dieu nous révèle et nous enseigne par ses Écritures dans quel sens nous devons entendre le mot jugement, dont il se sert. Veuillez, je vous prie, me prêter toute votre attention. Parfois le jugement s’entend dans le sens de punition, et parfois dans celui de discernement. C’est en ce dernier sens qu’il est employé dans ce passage : « Il faut que nous comparaissions tous au tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû à ses bonnes ou à ses mauvaises actions, pendant qu’il était revêtu de son corps ». Distribuer des récompenses aux bons et des punitions aux méchants, voilà lien en quoi consiste le discernement. Si le mot jugement devait toujours être pris en mauvaise part, le Psalmiste n’aurait pas dit : « Seigneur, jugez-moi ». À entendre ces paroles du Prophète : « Jugez-moi, Seigneur », quelqu’un s’étonnera peut-être ; car l’homme a pour habitude de dire : Que Dieu me pardonne ! Seigneur, épargnez-moi ! Mais lui a-t-on jamais entendu dire : « Jugez-moi, Seigneur ? » Il arrive parfois que, dans le psaume, ce verset se répète : le lecteur le dit une fois, et le peuple le chante ensuite. Ne se laisse-t-on pas effrayer ? Ne craint-on pas de s’adresser à Dieu et de lui dire : « Jugez-moi, Seigneur ? » Non, le peuple des croyants chante ces paroles, et il ne pense nullement à se souhaiter du mal, en redisant ce qu’il a appris dans les saints livres : et quand même il ne le comprendrait point parfaitement, il suppose que ce qu’il chante est bon. Toutefois, le Psalmiste lui-même a voulu nous donner l’intelligence de ses paroles ; car il continue, et, dans le verset suivant, il nous montre de quel jugement il a parlé : il a fait allusion, non pas au jugement de condamnation, mais à celui de discernement. Il dit effectivement : « Jugez-moi, Seigneur ». Qu’est-ce à dire : « Jugez-moi, Seigneur ? Et séparez ma cause de celle d’une nation impie ». C’est donc pour ce jugement de discrétion que « nous devons comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ ». Pour le jugement de condamnation, c’est de lui qu’il s’agit dans ce passage : « Celui qui écoule mes paroles et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle, et il ne viendra pas au jugement, mais il passe de la mort à la vie ». Que veut dire : « Il ne viendra pas au jugement ? » Il ne sera pas condamné. Prouvons, d’après les Écritures, que le mot jugement a été employé dans le sens de punition : vous le verrez tout à l’heure ; dans la suite même de la leçon qui nous occupe, ce mot n’a été employé qu’avec le sens de condamnation et de punition[1]. Ecrivant à ceux qui profanaient le corps que vous connaissez en qualité de fidèles, l’Apôtre dit quelque part, qu’à cause de leur sacrilège, ils étaient frappés de la main de Dieu. Voici en quels termes il s’exprime : « C’est pourquoi il y en a beaucoup parmi vous qui sont malades et languissants, et plusieurs dorment profondément ». C’est pourquoi, aussi, beaucoup d’entre eux mouraient. Il ajoute : « Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés de Dieu » ; ou, en d’autres termes : Si nous nous corrigions nous-mêmes, Dieu ne nous corrigerait pas. « Mais lorsque nous sommes jugés, c’est Dieu qui nous reprend, afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde [2] ». Il en est donc que Dieu juge ici-bas, c’est-à-dire qu’il punit afin de les épargner dans l’autre monde : il y en a d’autres qu’il épargne dans la vie présente, pour les punir plus sévèrement dans l’avenir : d’autres, encore, éprouvent de grandes peines sans être punis néanmoins, lorsque les châtiments de Dieu n’ont pu les amener au repentir ; ils ont méprisé, sur la terre, les sévères leçons de leur Père céleste, aussi subiront-ils l’arrêt de condamnation qu’il prononcera contre eux, lorsqu’il sera leur juge. À la fin du monde, il y aura donc un jugement où Dieu, c’est-à-dire le

  1. N. 13
  2. 1 Cor. 11, 30-32