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ce qui est, parce qu’il est Dieu. Être et pouvoir ne sont donc pas en lui deux choses différentes ; il possède en même temps l’existence et la puissance, parce que la volonté et l’action lui appartiennent toutes les deux. Puisque le pouvoir du Fils vient du Père, par là même la substance du Fils en vient aussi ; et réciproquement, puisque la substance du Fils vient du Père, sa puissance en vient pareillement. Dans le Fils, la puissance ne se distingue pas de la substance elles y sont toutes deux une seule et même chose : la substance pour qu’il existe, la puissance pour qu’il soit à même de faire ce qu’il veut. Aussi, parce qu’il vient du Père, le Fils a-t-il dit : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même » ; dès lors qu’il n’existe point par lui-même, il ne peut, non plus, rien faire par lui-même.
5. Il semblerait qu’il s’est fait plus petit que le Père, en disant : Le Fils ne peut rien « faire par lui-même, que ce qu’il a vu faire au Père ». Ici la vaniteuse hérésie relève la tête : je veux parler de l’hérésie qui regarde le Fils comme intérieur au Père, comme ayant un pouvoir, une grandeur, une faculté d’agir bien moins étendus, parce qu’elle ne saisit pas la mystérieuse signification des paroles du Christ. Cependant, que votre charité veuille bien y faire attention ; voyez comment ces paroles du Sauveur troublent maintenant leurs idées toutes charnelles. N’ai-je pas dit, tout à l’heure, par avance, que la parole de Dieu trouble les cœurs pervers, et surexcite l’intelligence de ceux qui ont le cœur droit ? En m’exprimant ainsi, j’ai voulu surtout faire allusion à celle que rapporte l’Évangéliste Jean : ce qu’il dit n’est pas du nombre des choses communes et faciles à comprendre : ce sont de mystérieuses choses. À entendre ces paroles, l’hérétique se redresse et nous dit : Voilà bien là preuve que le Fils est intérieur au Père. Écoute les paroles du Fils lui-même ; il te dit : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même, que ce qu’il a vu faire au Père ». – Attends : l’Écriture te le recommande : « Écoute avec douceur ce que l’on te dit, afin de le comprendre [1] ». Supposez que ce passage me jette dans l’embarras, puisqu’en raison de ces paroles : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même que ce qu’il a vu faire au Père », je prétends que le Fils est égal à son Père en puissance et en majesté. Ce passage m’embarrasse donc ; mais puisque tu crois l’avoir compris, je vais te faire une question : Nous savons, d’après l’Évangile, que le Fils a marché sur la mer [2] : où l’hérétique a-t-il vu que le Père a marché sur les eaux ? À son tour, il se trouble : oui, il se trouble lui-même. Laisse donc de côté ce que tu avais compris, et cherchons ensemble à comprendre. Que faisons-nous donc ? Nous avons entendu les paroles du Sauveur : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même, qu’il ne l’ait vu faire au Père ». Il a marché sur les eaux : le Père n’y a jamais marché : pourtant, « le Fils ne fait rien par lui-même qu’il ne l’ait vu faire au Père ».
6. Retourne avec moi à ce que je disais tout à l’heure : peut-être comprendrons-nous les choses, de manière à sortir, tous les deux, de la difficulté : pour moi, la foi catholique m’apprend le moyen d’en sortir, sans me blesser, sans me butter à aucun obstacle : enfermé dans ton inextricable cercle, tu cherches une issue. Vois par où tu es entré. Peut-être n’as-tu pas même compris ce que j’ai dit : vois par où tu es entré ; écoute donc le Sauveur ; voici les paroles qu’il t’adresse : « Je suis la porte[3] ». Ce n’est pas sans cause que tu cherches une issue et que tu n’en trouves pas ; car, au lieu d’entrer dans le bercail par la porte, tu y es tombé du haut de la muraille. Agis donc de ton mieux ; retire-toi de l’endroit de ta chute, et entre par la porte : ainsi entreras-tu sans te blesser ; ainsi sortiras-tu sans faire fausse route. Viens par le Christ, et ce que tu dis, ne le tire pas de ton propre cœur : ne parle que de ce qu’il te fait connaître. Voici comment la foi catholique triomphe de la difficulté présente. Le Fils a marché sur la mer, il a posé les pieds de son corps sur les flots : sa chair marchait sur les eaux, et sa divinité en domptait le liquide élément. À ce moment où, comme homme, il était porté sur les eaux, et où, comme Dieu, il s’en montrait le maître, le Père n’était-il pas avec lui ? Si le Père était alors éloigné du Fils, comment celui-ci a-t-il pu dire : « Mon Père, qui demeure en moi, fait les mêmes œuvres que moi[4] ? » Si le Père demeure dans le fils, et fait les mêmes œuvres que lui, cette marche du corps du Christ, le Père l’exécutait, et il l’exécutait par son Fils, et

  1. Sir. 5, 13
  2. Mt. 14, 25
  3. Jn. 10, 7
  4. Id. 14, 10