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Dieu était jusqu’alors resté plongé dans une sorte d’assoupissement ; aussi avait-il sanctifié ce jour-là à partir du moment où il avait, en quelque sorte, commencé à se reposer de ses fatigues. Il est sûr que l’observation du précepte du sabbat, imposée autrefois à nos pères, est chose sacrée [1]. Nous autres Chrétiens, nous avons pour lui un respect tout spirituel ; en ce jour nous nous abstenons de toute œuvre servile, c’est-à-dire de tout péché, parce que le Seigneur a dit : « Quiconque commet le péché est l’esclave du péché[2] » et ainsi gardons-nous le repos dans notre cœur ; en d’autres termes nous y conservons la tranquillité de l’âme. Tous nos efforts tendent à ce but pendant le cours de cette vie mortelle ; il nous sera néanmoins impossible d’arriver à la quiétude parfaite avant notre sortie de ce monde. On dit que Dieu s’est reposé, parce qu’après avoir mis la dernière main à toutes ses œuvres, il n’a plus fait sortir du néant aucune créature ; c’est ce que l’Écriture appelle le repos du Seigneur, pour nous avertir, qu’à la suite de nos bonnes œuvres, nous nous reposerons. Nous lisons en effet, dans la Genèse : « Et Dieu fit toutes choses extrêmement bonnes, et il se reposa le septième jour[3] ». O homme, quand tu vois que Dieu s’est reposé après avoir accompli des œuvres excellentes, tu ne dois donc pas espérer le repos si tu ne fais pas des œuvres bonnes. Le sixième jour Dieu a créé l’homme à son image et ressemblance et mis le sceau de la perfection sur ses ouvrages, qui étaient tous extrêmement bons ; puis, le septième jour venu, il a pris du repos : ainsi ne peux-tu compter sur le repos qu’à la condition de réimprimer sur toi l’image du Créateur, dont le péché a fait disparaître les traits primitivement imprimés en ton âme. Il ne faut pas dire que Dieu a travaillé, parce qu’il a parlé et que toutes choses ont été faites. Quiconque posséderait une aussi grande facilité de travailler, voudrait-il prendre du repos, comme s’il avait éprouvé une grande fatigue ? Qu’un homme donne un ordre, et qu’on lui résiste ; qu’il commande un ouvrage, et qu’on ne le fasse pas, et qu’il se donne lui-même la peine de le faire,, je dirai avec raison qu’il s’est reposé, le travail fini. Mais nous lisons tout autre chose dans le livre, déjà cité, de la Genèse : « Dieu dit : Que la lumière se fasse, et la lumière se fit : Dieu dit : que le firmament se fasse, et le firmament fut fait[4] » ; et toutes choses lurent faites sitôt qu’il eut parlé ; le Psalmiste lui-même l’atteste en ces termes : « Il a dit, et tout a été fait ; il a commandé, et tout a été créé[5] ». Comment, après avoir créé le monde, aurait-il cherché le repos à la manière des hommes qui terminent un travail, celui qui ne s’était point fatigué à donner ses ordres ? Ces paroles ont donc un sens caché : elles ont été placées là pour nous avertir de n’espérer le repos d’après cette vie, qu’autant que nous l’aurons mérité par nos bonnes œuvres. Nous l’avons dit : les Juifs s’étaient scandalisés de voir le Sauveur opérer la guérison d’un homme le jour du sabbat ; pour condamner leur impudence et leurs fausses idées, pour leur montrer qu’ils n’avaient pas sur Dieu des pensées justes, Jésus leur dit : « Mon Père agit toujours, et moi aussi ». N’allez donc point vous imaginer que mon Père se soit reposé le septième jour, de telle manière que, à partir de ce moment-là, il n’ait plus rien fait : comme il agit encore aujourd’hui, j’agis aussi moi-même ; toutefois, le Père travaille sans fatigue, et le Fils travaille de même sans éprouver de lassitude. « Dieu a dit et tout a été fait » ; le Christ a dit à un malade : « Prends ton grabat, et retourne en ta maison », et la chose s’est accomplie.
3. Selon la croyance catholique, le Père et le Fils n’agissent point séparément l’un de l’autre. Voilà ce dont je veux, autant que possible, entretenir votre charité ; mais c’est bien ici le cas de répéter ces paroles du Seigneur : « Comprenne qui pourra[6] ». Celui qui ne peut me comprendre ne doit point m’en attribuer la faute : il ne peut en accuser que la lenteur de son esprit ; c’est donc pour lui un devoir de se tourner vers celui qui ouvre les cœurs, et de lui demander qu’il fasse pénétrer en lui ses enseignements : et si quelqu’un ne saisissait point ma pensée, parce que je ne la traduirais pas comme il le faudrait, je le prie de pardonner à mon humaine fragilité, et d’implorer en ma faveur le secours d’en haut. Nous avons, au dedans de nous, pour maître le Christ lui-même. Toutes les fois qu’une parole, sortie de ma bouche et venue à vos oreilles, vous paraîtra incompréhensible, tournez-vous intérieurement vers celui qui m’instruit de ce que je dois vous dire, et vous distribue sa parole au gré de sa généreuse bienveillance. Celui qui sait ce qu’il donne, et à qui il le donne, sera attentif à la demande du chrétien qui le priera, et il ouvrira à l’homme qui frappera à la porte : néanmoins, s’il ne nous accorde pas ce que nous désirons, ne nous croyons point, pour cela, abandonnés de lui ; car si parfois il diffère d’octroyer ce qu’on lui demande, il ne laisse personne dans le besoin. Il nous fait attendre, pour mettre notre patience à l’épreuve, mais il ne méprise nullement nos prières. Voyez donc, et remarquez attentivement ce que je veux dire, quoique je ne puisse peut-être m’exprimer comme je le désirerais. Selon les enseignements de la toi catholique, établie par l’Esprit de Dieu dans le cœur de tous les saints pour les prémunir contre toute perverse hérésie, il est certain que le Père et le Fils n’agissent point séparément l’un de l’autre. Qu’ai-je dit ? De même que le Père et le Fils, les œuvres de tons deux sont inséparables. Comment le Père et le Fils le sont-ils ? Le Sauveur l’a dit lui-même : « Mon Père et moi nous sommes un [7] ». D’ailleurs, le Père et le Fils ne sont pas deux dieux, mais un seul Dieu : le Verbe et celui dont il est le Verbe, sont un ; ils sont l’Unité : le Père et le Fils, unis l’un à l’autre par l’amour, et, avec eux, leur unique Esprit d’amour, ne font qu’un seul Dieu ; en sorte que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne forment qu’une seule et même Trinité. Comme non seulement le Père et le Fils, mais encore le Saint-Esprit, sont personnes égales entre elles et inséparables ainsi leurs œuvres sont inséparables : je vais dire encore plus clairement ce que j’entends par ces mots, leurs œuvres sont inséparables. La foi catholique ne dit pas que Dieu le Père a fait une chose, et Dieu le Fils une autre ; mais ce qu’a fait le Père, le Fils l’a fait, et aussi le Saint-Esprit. Toutes choses, en effet, ont été faites par le Verbe quand Dieu a dit, et qu’elles ont été faites, elles ont été faites par le Verbe, par le Christ : car, « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu toutes choses ont été faites par lui[8] ». Puisque toutes choses ont été faites par lui, Dieu ayant dit : Que la lumière soit faite, « et la lumière ayant été faite », il l’a donc faite dans le Verbe, et il l’a faite par le Verbe.

  1. Ex. 20, 8-11
  2. Jn. 8,34
  3. Gen. 1, 31 ; 2, 2
  4. Gen. 1,3, 6, 7
  5. Ps. 32, 9 ; 148, 5
  6. Mt. 19, 12
  7. Jn. 10, 30
  8. Id. 1, 1-3