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œuvres que le Père, et les fait comme lui, ranime-toi ; que le juif s’arrête, que le chrétien ait la foi, que l’hérétique se regarde comme condamné : le Fils est égal au Père.
9. « Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait lui-même [1] ». Remarque bien cette parole : « Il montre » À qui « montre-t-il ? » Évidemment, à quelqu’un qui le voit. Nous voici donc revenus en face de cette difficulté qu’il nous est impossible de résoudre : comment le Verbe voit-il ? L’homme a été créé par le Verbe ; mais il a, dans son corps, des yeux, des oreilles, des mains, en un mot, différents membres. Les yeux lui servent à voir, les oreilles à entendre, les mains à travailler, les différents membres à remplir l’office qui leur est naturellement dévolu. Un membre ne peut se charger des fonctions de l’autre ; mais pour que toutes les parties du corps se confondent dans une mutuelle union, l’œil voit pour son propre compte, et pour celui de l’oreille, et l’oreille perçoit les sons pour elle-même et pour l’organe de la vue. Toutes choses ayant été faites par le Verbe, devons-nous en conclure qu’il en est de lui comme de ses créatures ? Voici ce que dit l’Écriture elle-même dans un endroit des Psaumes : « Comprenez, vous qui êtes insensés au milieu du peuple ; hommes stupides, quand aurez-vous l’intelligence ? » Celui qui forma votre oreille ne vous entendra pas ? et celui qui fit vos yeux ne nous verra point[2] ? » Dès lors que le Verbe a créé toutes choses, il a formé l’œil et fait l’oreille ; nous ne pouvons, par conséquent, dire : Le Verbe n’entend pas, il ne voit rien ; car le Psalmiste nous condamnerait par ces paroles : « Hommes stupides, quand aurez-vous l’intelligence ? » De là il suit que si le Verbe voit et entend, le Fils voit aussi et entend de même façon. Mais, pourtant, sommes-nous autorisés à chercher en lui la place des yeux et des oreilles, comme ils se trouvent dans le corps humain en des endroits différents ? Y a-t-il, dans son être, une partie qui voie, et une autre partie qui entende ? Son oreille est-elle incapable de faire ce que fait son œil, et son œil ne peut-il jouer le rôle de son oreille ? Est-il tout entier dans l’organe de la vue ou l’organe de l’ouïe ? Peut-être. Mais ce n’est pas assez dire, j’ajoute : Certainement, oui ; avec cette réserve, toutefois, qu’en lui, voir et entendre sont bien différents de ce qu’ils sont en nous. La vue et l’ouïe se trouvent ensemble dans le Verbe, mais sans que la première soit autre que la seconde chez lui, la vue n’est pas différente de l’ouïe, et l’ouïe n’est pas autre que la vue.
10. Pour nous, en qui l’ouïe et la vue sont choses absolument différentes, pouvons-nous comprendre un pareil mystère ? Oui, peut-être, si nous nous replions sur nous-mêmes, à condition, toutefois, de ne pas être des prévaricateurs, car à de pareilles gens il a été dit : « Hommes de péché, rentrez dans votre cœur [3] » ; rentrez en vous-mêmes : pourquoi vous en éloigner, et, par là, vous exposer à périr ? Pourquoi courir en des chemins solitaires ? Vous ne suivez pas la véritable voie ; aussi vous égarez-vous ; revenez. Où ? Au Seigneur. Mais c’est trop tôt : commence par rentrer en toi-même : hors de toi, loin de ton cœur, tu t’égares ; tu ne te connais pas même, et tu voudrais connaître ton Créateur ? Reviens, rentre dans ton cœur, arrache-toi à ton corps. Ton corps est comme ta demeure ; il est pour ton cœur la source d’une foule de sensations, mais ils sont bien différents l’un de l’autre : laisse donc là ton corps pour rentrer dans ton cœur. Dans ton corps, l’œil occupe une place, et l’oreille une autre place : en est-il ainsi pour ton cœur ? Est-il dépourvu de la faculté d’entendre ? Qu’est-ce donc que le Sauveur avait en vue, quand il disait : « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende[4] ? » Est-il privé de la faculté de voir ? Pourquoi, alors, l’Apôtre dit-il : « Qu’il éclaire les yeux de votre cœur[5] ? » Rentre en toi-même, et, par ce que tu y verras, tu pourras peut-être te faire une idée de ce qu’est Dieu ; car ton âme en est l’image. Le Christ habite dans l’homme intérieur [6]. Au dedans de toi se renouvelle l’image de Dieu : en elle, reconnais les traits de son auteur. Vois comment les sens du corps font connaître au cœur les impressions qui leur viennent du dehors remarque le grand nombre de ministres attachés au service de ce maître unique qui règne à l’intérieur, et aussi les opérations secrètes qu’il accomplit sans leur concours. Les yeux signalent à l’âme le blanc et le noir ; les oreilles transportent jusqu’à elle les harmonies et les dissonances ; par l’odorat, elle distingue les émanations embaumées des

  1. Jn. 5, 20
  2. Ps. 93, 8, 9
  3. Isa. 46, 8
  4. Luc, 8, 8
  5. Eph. 2, 18
  6. Id. 3, 16,17