il suit que le nombre quarante indique l’entier accomplissement de la loi, et que la loi n’est accomplie que par l’observation du double précepte de la charité : alors, pourquoi s’étonner si celui à qui le nombre deux manquait pour parvenir à quarante, gisait sous le poids de la maladie ?
7. Voyons donc par quelle mystérieuse action du Sauveur ce malade est revenu à la santé. Jésus, maître de la charité, rempli de charité, a paru sur la terre, donnant au « monde » comme il a été prédit de lui, « une parole abrégée[1] », et il a montré que les deux Préceptes de la charité renferment toute la loi et les Prophètes. En eux a donc consisté le mérite du jeûne de quarante jours observé par Moïse, et de celui d’Élie, consacrés, tous deux, par l’autorité et l’exemple de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le Sauveur se présente alors devant le paralytique, et lui rend la santé ; mais, auparavant, il lui dit : « Veux-tu être guéri ? » Celui-ci lui répond qu’il n’a personne pour le descendre dans la piscine. En réalité, pour guérir, il lui fallait un homme, mais l’homme qui est en même temps Dieu : car « il n’y à qu’un Dieu, et un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme [2] ». L’homme indispensable s’approche de lui : pourquoi sa guérison serait-elle différée ? « Lève-toi », lui dit-il, « prends ton lit, et marche ». Voilà trois mots sortis de sa bouche : « Lève-toi, prends ton lit, et marche ». « Lève-toi » ; par ce mot, il ne commande pas d’agir, il rend la santé. Une fois guéri, le paralytique reçoit deux commandements : « Prends ton lit, et marche ». Je vous le demande : pourquoi ne pas se contenter de dire : « Marche ? » Ou bien, n’aurait-il pas suffi de dire « Lève-toi ? » Il est sûr, en effet, qu’après avoir repris l’usage de ses membres, il ne serait pas resté en place. Ne se serait-il pas levé pour s’en aller ? Voilà donc, pour moi, un nouveau sujet de surprise ; car j’entends le Sauveur faire deux commandements à cet homme qu’il a trouvé couché sur son lit, parce qu’il lui manquait deux pour atteindre quarante ; en lui imposant deux préceptes, Jésus suppléait au nombre qui lui faisait défaut.
8. Dans ces deux préceptes du Christ, comment pouvons-nous trouver trace des deux commandements de la charité ? « Prends ton lit », dit-il, « et marche ». Quels sont, mes frères, ces deux commandements ? Veuillez y réfléchir avec moi. Ils doivent vous être parfaitement connus, et, par conséquent, vous ne devez pas vous borner à y penser quand nous vous en parlons ; jamais ils ne doivent s’effacer de votre mémoire. Rappelez-vous-le donc toujours : il faut aimer Dieu et le prochain. Il faut aimer « Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit, et le prochain comme soi-même ». Voilà ce à quoi nous devons toujours penser ; ce qu’il nous faut sans cesse méditer, graver dans notre mémoire, mettre en pratique et accomplir. L’amour de Dieu a la priorité dans l’ordre des commandements : dans l’ordre de mise en pratique, cette priorité appartient à l’amour du prochain. Celui qui t’imposerait, en deux préceptes divers, l’obligation d’aimer l’un et l’autre, ne te désignerait pas d’abord le prochain, comme objet de ton affection, pour donner à Dieu le second rang : il te parlerait d’abord de Dieu, et, ensuite, du prochain ; mais comme tu ne vois pas encore Dieu, tu mérites de le voir en aimant ton prochain : l’affection que tu portes à ton frère purifie l’œil de ton âme, et le rend capable de contempler Dieu ; car Jean dit en termes formels : « Comment celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas [3] ? » On te dit : Aime Dieu. Si tu me dis à ton tour : Montre-moi celui que je dois aimer, que répondrai-je, sinon ce que Jean lui-même nous enseigne : « Jamais « personne n’a vu Dieu [4] ? » Mais ne va pas t’imaginer qu’il te soit complètement impossible de voir Dieu. « Dieu », dit le même Apôtre, « Dieu est charité ; celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu [5] ». Aime donc ton prochain ; puis, examine attentivement pour quel motif tu lui donnes ton affection ; et en lui, tu verras Dieu, autant, du moins, que tu peux le voir. Commence donc par aimer le prochain. « Partage ton pain avec celui qui a faim, et reçois, sous ton toit, celui qui est sans abri. Lorsque tu vois un homme nu, couvre-le, et ne méprise point la chair dont tu es formé ». Quelle sera, pour toi, la conséquence de toutes ces bonnes œuvres ? « Alors, ta lumière brillera comme l’aurore [6] ». Ta lumière, c’est ton
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