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que les Pharisiens, apprenant qu’il avait plus de disciples, et qu’il baptisait plus de personnes que Jean, en profiteraient pour leur salut et se rangeraient à sa suite pour devenir ses disciples et se faire baptiser par lui, certainement il n’aurait pas quitté la Judée, il y serait plutôt resté à cause d’eux. Toutefois, et ce n’était pas pour lui un mystère, ils savaient ce qu’il en était de lui ; mais ils étaient animés à son égard d’un grand mauvais vouloir ; ils avaient appris à le connaître, mais pour le poursuivre, au lieu de le suivre. Il quitta donc le pays : non pas que, même en y demeurant, il n’eût pu éviter d’être pris et tué par eux contre son bon vouloir ; car il pouvait ne pas naître s’il l’avait voulu, mais parce qu’en total ce qu’il faisait comme homme, il avait dessein de servir d’exemple aux hommes qui devaient croire en lui. En effet, aucun serviteur de Dieu ne pèche en passant d’un lieu dans un autre, lorsqu’il voit que certaines gens le persécutent avec fureur, ou cherchent à l’entraîner au mal. Il craindrait néanmoins d’offenser Dieu en agissant de la sorte, s’il n’avait pour s’y autoriser l’exemple du Seigneur. Car cette conduite, le bon Maître l’a tenue dans l’intention de nous instruire, et non par un motif de crainte personnelle.
3. Peut-être quelqu’un s’étonnera-t-il de ce que l’Évangéliste ait dit : « Jésus baptisait plus de personnes que Jean », et qu’après ces paroles : « Jean baptisait », il ait ajouté : « Quoique Jésus ne baptisât pas par lui-même, mais par ses disciples ? » Quoi donc ? Était-ce d’abord une assertion fausse, redressée ensuite par cette addition : « Quoique Jésus ne baptisât pas par lui-même, mais par ses disciples ? » Ou plutôt, est-il également vrai que Jésus baptisait, et ne baptisait pas ? Il baptisait parce qu’il purifiait les âmes, et il ne baptisait point parce qu’il ne répandait pas l’eau sur les corps. Les disciples prêtaient le concours de leur ministère corporel ; pour lui, il les aidait de sa puissance. Comment, en effet, peut cesser de baptiser Celui qui ne cesse pas de purifier, et dont l’Évangéliste nous dit en répétant les paroles rapportées de Jean-Baptiste : « C’est celui-là qui baptise [1] ? » Donc Jésus baptise encore, et tant qu’il y aura des hommes pour recevoir le baptême, c’est Jésus qui le leur donnera. Approchons-nous donc avec confiance du serviteur malgré son infériorité, parce qu’il a le Maître au-dessus de lui.
4. Mais, dira quelqu’un, à la vérité, le Christ confère le baptême en esprit, mais il ne le donne pas extérieurement : par là, quiconque reçoit visiblement et corporellement le sacrement de baptême, semble le tenir d’un autre que de lui. Veux-tu une preuve qu’il baptise non seulement en esprit, mais encore avec l’eau ? Écoute l’Apôtre : « Comme Jésus-Christ », dit-il, « a aimé l’Église et s’est livré à la mort pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant dans le baptême de l’eau par la parole de vie, pour la faire paraître devant lui pleine de gloire, n’ayant ni tache, ni ride, ni rien qui y ressemble ». En la purifiant de quelle manière ? « Dans le baptême de l’eau par la parole de vie ». Qu’est-ce que le baptême du Christ ? Un baptême d’eau uni à la parole. Ôte l’eau, il n’y a plus de baptême ; ôte la parole, le baptême n’existe plus.
5. Après ces préliminaires qui conduisent l’Évangéliste à l’entretien de Jésus-Christ avec la Samaritaine, voyons, le reste : il est rempli de vérités cachées et de gros mystères. « Il fallait », dit l’Ecrivain sacré, « qu’il passât par Samarie. Il vint donc en une ville du pays de Samarie, nommée Sichar, près de la terre donnée par Jacob à son fils Joseph. Là était la fontaine de Jacob ». C’était un puits : tout puits est une fontaine ; mais toute fontaine n’est pas un puits. Car dès qu’une eau sort de terre et qu’on la puise pour en faire usage, on l’appelle une fontaine ; toutefois, s’il est facile de la voir et qu’elle se trouve â la surface de la terre, elle s’appelle simplement une fontaine. Si, au contraire, elle se voit dans les profondeurs de la terre, on l’appelle un puits, bien qu’alors le nom de fontaine puisse encore lui convenir.
6. « Jésus donc, fatigué du chemin, s’assit sur la fontaine. C’était vers la sixième heure ». Déjà commencent les mystères. Ce n’est pas sans raison que Jésus se fatigue : ce n’est pas sans raison que nous voyons accablée de lassitude la vertu même de Dieu, celui qui calme nos fatigues, celui dont l’absence est pour nous une cause d’épuisement et dont la présence restaure nos forces. Cependant Jésus est fatigué, il est fatigué sur le chemin et il s’assied, il s’assied au bord d’un

  1. Jn. 1, 33