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« Comment l’homme peut-il naître de nouveau, quand il est vieux ? » L’Esprit lui parle et il n’a que des idées charnelles, il juge les choses suivant ses idées charnelles, parce qu’il n’a pas encore goûté la chair du Christ. En effet, lorsque le Seigneur Jésus eut dit : « Celui qui n’aura pas mangé la chair du Fils de l’homme et qui n’aura point bu son sang n’aura pas la vie », ceux qui le suivaient furent scandalisés et se dirent les uns aux autres : « Ce discours est dur, qui peut l’entendre ? » Selon eux, Jésus voulait dire qu’on pourrait le couper eu morceaux comme un agneau, le faire cuire et le manger. Un pareil langage leur faisait horreur ; aussi se retirèrent-ils loin de lui et ils ne voulurent plus le suivre dans la suite. Après quoi l’Évangile ajoute : « Le Seigneur resta seul avec les douze. Et ceux-ci lui dirent : Seigneur, voici qu’ils vous ont abandonné. Et Jésus leur dit : Est-ce que vous voulez aussi vous en aller ? » Par là, il voulait leur montrer qu’il n’avait pas besoin d’eux, mais qu’eux avaient besoin de lui. Que personne ne s’imagine faire peur au Christ, quand on l’invite à se faire chrétien ; comme si en devenant chrétien tu le rendais plus heureux ! C’est un bien pour toi d’être chrétien ; mais si tu ne l’es pas, le Christ n’en souffrira aucun dommage. Écoute le Psalmiste : « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, parce que vous n’avez pas besoin de mes biens[1]. Vous êtes donc mon Dieu, parce que vous n’avez pas besoin de mes biens ». Si tu es sans Dieu, tu es plus petit ; si tu es avec Dieu, il n’en est pas plus grand. Pour être avec toi, Dieu n’en est pas plus grand, mais sans lui tu es plus petit. Prends donc en lui de l’accroissement. Ne te soustrais pas à lui, comme s’il devait devenir plus faible par ton éloignement. En t’approchant de lui tu te fortifieras tu t’affaibliras, au contraire, en t’en éloignant. Avec toi il n’acquiert rien ; sans toi, il demeure dans son entier. Aussi lorsqu’il eut dit aux disciples : « Est-ce que vous voulez aussi vous en aller ? » Pierre, cette pierre, lui répondit au nom de tous : « Seigneur, à qui irions-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle ». Son Palais avait savouré comme il le fallait la chair du Seigneur. Le Seigneur leur expliqua sa pensée en ces mots : « C’est l’esprit qui vivifie ». En effet, après qu’il eut dit : « Si l’homme ne mange la chair du Fils de l’homme, et s’il ne boit son sang, il n’aura pas la vie en lui », il voulut les empêcher d’entendre ces paroles d’une manière charnelle. Aussi leur dit-il : « C’est l’Esprit qui vivifie ; pour la chair, elle ne sert de rien ; les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie [2] ».
6. Le goût de cet esprit et de cette vie, ce Nicodème venu à Jésus-Christ pendant la nuit ne l’avait pas encore. Jésus lui dit : « Si l’homme ne renaît de nouveau, il ne verra pas le royaume de Dieu ». Imbu d’idées charnelles, et ne savourant pas encore la chair du Christ, il dit : « Comment un homme peut-il naître de nouveau, quand il est déjà vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et en sortir de nouveau ? » Cet homme ne connaissait qu’une manière de venir au monde, celle par laquelle on est enfant d’Adam et d’Eve ; il ne connaissait pas encore celle qui nous fait enfants de Dieu et de l’Église ; il ne connaissait que les parents qui engendrent pour la mort, il ne connaissait pas encore ceux qui engendrent pour la vie ; il ne connaissait que les parents qui engendrent des successeurs, il ne connaissait pas encore ceux qui, parce qu’ils vivent toujours, engendrent des co-partageants de leur éternité. Il y a deux sortes de naissance, il n’en connaissait qu’une. L’une tient de la terre, l’autre du ciel ; l’une de la chair, l’autre de l’esprit ; l’une de la mortalité, l’autre de l’éternité ; l’une de l’homme et de la femme, l’autre de Dieu et de l’Église. Mais toutes deux n’ont lieu qu’une fois ; ni l’une ni l’autre ne peuvent être renouvelées. Nicodème avait une idée juste de la naissance selon la chair : ainsi dois-tu penser de la naissance selon l’esprit. Quel était le raisonnement de Nicodème ? « Un homme peut-il entrer dans le sein de sa mère et naître une seconde fois ? » De même si quelqu’un veut te faire naître vine seconde fois selon l’esprit, réponds-lui avec Nicodème : « Un homme peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître une seconde fois ? » Une fois déjà je suis né d’Adam ; Adam ne peut m’engendrer de nouveau : je suis né une première fois du Christ, le Christ ne peut m’engendrer de nouveau ; on ne peut rentrer dans le sein de sa mère, par conséquent il est impossible

  1. Ps. 15, 2
  2. Jn. 6, 54-69