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mémoire, de peur de l’oublier ? Est-il bien étonnant que Dieu compte les étoiles quand il compte les cheveux de notre tête[1] ? Il est évident, mes frères, que Dieu veut nous montrer un sens caché dans ces paroles : « Il compte la multitude des étoiles, et les appelle par leurs noms ». Ces étoiles sont les flambeaux de l’Église, qui nous consolent dans cette nuit terrestre, et dont l’Apôtre a dit : « C’est au milieu d’eux que vous apparaissez, comme des flambeaux dans ce monde ». « Dans cette nation tortueuse et perverse », nous dit-il, « vous apparaissez au milieu d’eux comme des flambeaux dans le monde, portant en vous la parole de vie[2] ». Telles sont les étoiles comptées par le Seigneur ; il connaît et il compte ceux qui doivent régner avec lui, être unis au corps de son Fils unique. Il ne compte point celui qui en est indigne. Beaucoup ont embrassé la foi, ou plutôt beaucoup se sont unis à son peuple avec une ombre, une apparence de foi ; mais il sait ce qu’il doit compter et ce qu’il doit vanner. L’Évangile est parvenu à un point qui justifie cette parole : « J’ai annoncé et parlé : et ils se sont multipliés au-delà du nombre[3] ». Il y a donc parmi les peuples, des surnuméraires en quelque sorte. Comment surnuméraires ? C’est-à-dire plus nombreux ici-bas que dans le ciel. Le peuple qui est dans cette enceinte est plus nombreux qu’il ne sera dans le royaume de Dieu, dans la Jérusalem du ciel ; voilà les surnuméraires. Que chacun examine s’il brille dans les ténèbres, s’il est insensible aux séductions des ténèbres et des iniquités de ce monde : s’il n’est ni séduit ni vaincu, il sera comme une étoile que compte le Seigneur.
10. « Il appelle toutes les étoiles par leurs noms » ; c’est là toute notre récompense. Nous avons des noms devant Dieu, et que Dieu connaisse ces noms, c’est ce qu’il nous faut désirer ; c’est là que doivent tendre nos actions et nos efforts, autant qu’il nous est possible : n’ayons de joie pour rien autre chose, pas même pour un don spirituel. Que votre charité veuille bien m’écouter : les dons sont nombreux dans l’Église, comme l’a dit l’Apôtre : « L’un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse ; l’autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science ; un autre le don de la foi par le même Esprit ; un autre le don de guérir les maladies ; un autre le don de discerner les esprits », c’est-à-dire de juger entre les bons esprits et les méchants ; « un autre le don des langues, un autre le don de prophétie[4] ! » Que n’a-t-il pas énuméré ! Combien ces dons sont nombreux ! Et pourtant beaucoup qui auront fait de ces dons un mauvais usage entendront à la fin : « Je ne vous connais pas ». Et que répondront à la fin ceux à qui l’on dira : « Je ne vous connais pas ? – Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé en votre nom, et en votre nom chassé les démons, et en votre nom encore opéré de grands prodiges ? » Tout cela en votre nom. Et que leur dira le Seigneur ? « En vérité, je ne vous connais point, retirez-vous de moi, ouvriers d’iniquité[5] ». Quel avantage donc à être une lumière du ciel, éclairant les autres sans se laisser vaincre par la nuit ? « Je vous enseigne une voie bien supérieure encore », dit l’Apôtre[6]. « Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai point la charité, je suis un airain sonnant, une cymbale retentissante ». Quel don de parler les langues des anges et des hommes ! « Et pourtant si je n’ai pas la charité, je ne suis qu’un airain sonore, qu’une bruyante cymbale. Quand je pénétrerais tous les mystères, toute la science, quand j’aurais le don de prophétie et une foi capable de transporter les montagnes » (quels dons éminents, mes frères !), « si je n’ai la charité, je ne suis rien ». Combien grand encore le don du martyre, et de donner son bien aux pauvres ! Et toutefois « quand même », poursuit l’Apôtre, « quand même je distribuerais mon bien aux pauvres, quand je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai la charité, tout cela ne me sert de rien[7] ». Quiconque, dès lors, n’a point la charité, peut bien posséder ces dons pour un temps, mais ils lui seront ôtés ; on lui ôtera ce qu’il a parce qu’il lui manque quelque chose ; et ce qui lui manque est précisément ce qui lui assurerait la possession du reste, et l’empêcherait de périr lui-même. Que nous dit maintenant le Seigneur ? « A celui qui possède, on donnera encore ; et à celui qui n’a point, on ôtera même ce qu’il a[8] ». Donc, pour celui qui n’a pas, on lui

  1. Mt. 10,30
  2. Phil. 2,15-16
  3. Ps. 39,6
  4. 1 Cor. 12,8-10
  5. Mt. 7,22-23
  6. 1 Cor. 12,31
  7. Id. 13,1-3
  8. Mt. 13,12