Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/255

Cette page n’a pas encore été corrigée

mérites bien différents. Le pauvre passa de la terre au sein d’Abraham, et le riche dans les tourments de l’enfer. Ils sont rapprochés sur la terre, l’un dans sa maison, l’autre devant sa porte, et la mort les a tellement séparés, qu’Abraham dit au riche : « Entre vous et nous, un immense abîme est éternel[1] ». Donc, mes frères, puisque c’est l’espérance qui est ici-bas notre nourriture, et que nous n’avons de vie parfaite que celle qui nous est promise ; ici-bas, les gémissements ; ici-bas, les épreuves et les angoisses ; ici-bas, les chagrins et les dangers ; notre âme louera le Seigneur comme il doit être loué quand s’accomplira celte parole d’un autre psaume : « Bienheureux ceux qui habitent votre mai son, ils vous loueront dans les siècles des siècles[2] » ; lorsque tout consistera pour nous à louer Dieu. Mais quand cela s’accomplira-t-il ? « Dans ma vie ». Qu’avons-nous, en effet, maintenant ? Le Prophète pourrait l’appeler ma mort. Pourquoi ta mort ? Parce que je suis éloigné du Seigneur. Si ma vie consiste à m’attacher à lui, m’en séparer c’est la mort. Mais d’où te vient ta consolation ? De l’espérance. C’est donc l’espérance qui fait ta vie ; que l’espérance te porte à louer Dieu, te porte à le chanter. Ne chante point ce qui te fait mourir, chante ce qui te fait vivre. La mort te vient des afflictions de ce monde, et la vie de l’espérance du siècle futur. « Je louerai le Seigneur pendant ma vie », est-il dit.
8. Et comment loueras-tu ton Seigneur ? « Je chanterai des psaumes à Dieu, tant que je suis ». Quelle est cette louange : « Tant que je suis je chanterai au Seigneur ? » Voyez, mes frères, ce que nous serons alors c’est être toujours, que louer toujours. Voilà que tu es aujourd’hui ; est-ce ton Dieu que tu bénis tant que tu es ? Voilà que tu chantais ; mais une affaire t’a détourné, tu ne chantes plus, et tu es néanmoins ; tu es donc, mais sans chanter. Peut-être même la convoitise a-t-elle incliné ton cœur vers quelque objet, et tu offenses l’oreille de ton Dieu, loin de chanter ses louanges : et tu es cependant. Quelle sera donc cette louange que tu offriras à Dieu, dès lors que tu le béniras tant que tu seras ? Mais qu’est-ce à dire : « Tant que je suis ? » Est-ce qu’un jour le Prophète ne sera plus ? Point du tout ; il sera dans une éternelle durée, et dès lors dans une durée véritable. Une durée qui finit dans le temps, tant qu’on la prolonge, n’est pas une longue durée. « Je chanterai mon Dieu, tant que je suis ».
9. Jusque-là, c’est bien. Tu béniras le Seigneur pendant ta vie ; tant que tu es ici-bas, tu chanteras ton avenir en Dieu. C’est bien attends de lui ce qui peut donner la confiance. Que l’espérance ne vous abandonne point dans ce lieu d’exil et d’épreuves, dans ces pièges et ces perfidies de notre ennemi, dans ces épreuves que le monde soulève comme des orages, dans ces labeurs et ces amertumes qui nous environnent de toutes parts. Que ferons-nous donc ? Écoute ce qui suit : « Ne mettez point votre confiance dans les princes ». Voilà, mes frères, une parole importante, c’est une parole divine, et qui vient d’en haut. Ici-bas, en effet, au milieu de nos faiblesses, l’âme, en butte à la tribulation, en vient à désespérer de Dieu et cherche à s’appuyer sur les hommes. Disons à l’homme que poursuit le malheur : Il est un homme puissant qui pourrait vous délivrer ; le voilà qui sourit, qui tressaille, qui se redresse. Dites-lui : Voilà que Dieu va vous délivrer ; et le voilà glacé par le désespoir. Le secours d’un mortel que l’on te promet te fait tressaillir de joie, et le secours de l’immortel t’attristera ? On te promet la délivrance par celui qui a besoin d’être délivré, et lu en ressens de la joie comme d’un grand secours ; on te promet le secours de Celui qui est le libérateur, qui n’a aucun besoin de délivrance, et cette promesse te parait une fable. Malheur à ces pensées injustes, qui nous éloignent de Dieu, pensées qui sont la désolation, la mort la plus épouvantable. Approche donc, ô mon frère, commence à désirer, commence à chercher, commence à connaître celui qui t’a fait. Il n’abandonnera point son œuvre, si son œuvre ne l’abandonne point. Tourne-toi donc vers ce Dieu à qui tu as dit : « Je louerai le Seigneur pendant ma vie, je chanterai le Seigneur tant que je suis ». Plein de l’esprit d’en haut, le Prophète nous avertit ; et comme on ferait à des hommes éloignés, à des hommes égarés, et qui, loin de vouloir bénir le Seigneur, ne veulent même point espérer en lui, le Prophète nous crie : « Ne mettez point votre confiance dans les princes, dans les enfants des hommes, en qui n’est point le

  1. Lc. 16,19-26
  2. Ps. 73,5