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DISCOURS SUR LE PSAUME 141


SERMON AU PEUPLE.

CHANT DES MARTYRS.

Méditer, c’est imiter l’animal qui rumine, et qui pour cela est nommé pur. Crier vers le Seigneur, c’est l’invoquer, et crier de sa voix, c’est parler du cœur répandre sa prière devant Dieu, c’est prier où lui seul peut voir, et dans le cœur encore, et la porte close, de peur que le tentateur n’y puisse entrer. Cette porte a deux battants : le désir et la crainte ; c’est ouvrir la porte au démon que désirer ou craindre quelque chose de terrestre ; c’est l’ouvrir è Dieu que désirer le ciel et craindre l’enfer. Les martyrs ont fermé la porte au diable en méprisant les promesses du monde et ses menaces, et ouvert au Christ qui promettait la vie éternelle, qui menaçait de jeter le corps et l’âme dans le feu éternel. Ils prient, dans la crainte de s’attribuer l’honneur de la résistance, et quand on le croit accablé, il marche dans les sentiers de la justice inconnus au pécheur, connus de Dieu qui nous sauve ; car connaître, pour lui, c’est sauver ; méconnaître, c’est damner. Ces sentiers ou voies étroites sont au pluriel à cause de la pluralité des commandements, qui se réduisent à la charité, ou à la voie par excellence. Le Seigneur connaît donc nos voies, et nous conduit si nous sommes doux et humbles. Les persécuteurs ont voulu nous tendre un piège dans notre voie, ou dans le Christ ; mais comme ils sont hors du Christ, ils ont tendu le piège le long de la voie ; n’en sortons point et nous l’évitons qu’on nous reproche le Crucifié, nous nous en glorifions. Le Prophète voit, parce qu’il regarde à droite, où sont les élus, et nul ne les connaissait, c’est-à-dire ne connaissait le prix de ses souffrances. La fuite lui est fermée, quand son âme ne connaît point la fuite. Le corps veut fuir, mais l’âme ne saurait fuis, à moins d’imiter le mercenaire qui abandonne les brebis au danger. Le Seigneur le relève, le délivre des persécuteurs c’est-à-dire du diable dont les persécuteurs sont les instruments, de ces princes ou amateurs du monde, appelés aussi ténèbres. On distingue le monde fait par Dieu, en qui était le Verbe, et le monde qui ne l’a point connu ; les justes sont dans le monde, mais non du monde. Le Prophète veut être délivré de la prison, ou de la caverne du titre, ou du monde, ou du corps en ce sens qu’il est corruptible, ou bien encore de ce lieu étroit, c’est-à-dire triste, et mon âme chantera vos louanges.


1. C’est à la solennité des martyrs que vous êtes redevables de ce surcroît de dévotion, M nous redevable de cet entretien. Toutefois votre charité doit se souvenir du long discours d’hier. Bien que nous ayons remarqué pendant tout ce discours une avidité spirituelle qui se renouvelait sans cesse, nous ne saurions oublier notre commune fragilité, d’autant plus qu’il nous faut rendre aux paroles admirables du Seigneur, l’honneur qui leur est dû, ainsi qu’il est écrit : Les paroles du Seigneur sont admirables de sagesse. Elles ne vous arrivent, il est vrai, que dans des vases bien chétifs ; mais si les vases sont d’argile, le pain est du ciel. L’Apôtre nous dit en effet : « Nous portons ce trésor dans des vases fragiles, afin que la perfection de la vertu vienne de Dieu[1] ». Or, ce trésor et ce pain sont une même chose ; s’il n’en était pas ainsi, l’Écriture ne nous dirait pas à propos du trésor « C’est dans la bouche de l’homme sage que repose le trésor désirable, tandis que l’insensé le dissipe ». Aussi, mes frères, avertissons-nous votre charité de retourner, de ramener eu quelque sorte dans votre pensée le pain que l’oreille dépose dans l’estomac de votre mémoire. C’est ainsi « qu’un trésor précieux repose dans la bouche du sage, tandis que l’insensé le digère aussitôt[2] » ; en un mot, que le sage rumine et que l’insensé ne rumine pas. Qu’est-ce à dire, en termes plus clairs et en latin ? Le sage réfléchit sur ce qu’il a entendu, l’insensé l’oublie aussitôt. Car ce n’est point pour un autre motif que la loi appelle animaux purs ceux qui ruminent et impurs ceux qui ne ruminent point[3], puisque toute créature de Dieu est pure. Devant Dieu qui les a créés, le porc est aussi pur que l’agneau ; car tout ce qu’il fit était éminemment bien[4], et « toute créature de Dieu est bonne[5] », a dit l’Apôtre, comme « tout est pur pour ceux qui sont purs »[6]. Tout est donc pur, dans sa nature même, et néanmoins l’agneau est le symbole de ce qui est pur, comme le pourceau est le symbole de ce qui est impur ; l’agneau marque l’innocence du sage qui rumine, qui réfléchit ; le pourceau, l’impureté d’une folie oublieuse. Nous avons chanté un psaume analogue à la fête. Il est

  1. 2 Cor. 4,7
  2. Prov. 21,20
  3. Lev. 12,2-8
  4. Gen. 1,31
  5. 1 Tim. 4,4
  6. Tit. 1,15