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graisse qu’il doit donner à la terre ; il sait ce que préfère la terre, ce qu’elle en prendra, et quelle abondante moisson il en résultera. Mais tout cela est méprisable aux yeux du monde. Or, ne savez-vous point que « Dieu a choisi ce qui est méprisable, ce qui n’est rien comme ce qui est quelque chose, afin de détruire ce qui est[1] ? » C’est du fumier que furent tirés Pierre et Paul ; on les méprisait en leur donnant la mort ; maintenant que la terre est engraissée, que s’élève la moisson de l’Église, oie va ce qu’il y a de plus grand, ce qu’il y a de plus noble dans le monde, où va tout d’abord l’Empereur quand il arrive à Rome ? Est-ce au palais impérial, ou bien au tombeau du pêcheur ? « Comme la graisse est répandue sur les guérets, ainsi nos ossements sont dispersés près du sépulcre ».
22. « Seigneur, mes yeux sont vers vous, en vous est mon espoir, ne laissez point périr mon âme[2] ». Les martyrs ont subi les tourments, beaucoup y ont cédé. Or, comme le Prophète venait de dire à propos de la captivité pendant la persécution : « Comme la graisse de la terre est répandue sur les guérets, ainsi nos ossements sont dispersés près du sépulcre » : il se souvient que plusieurs ont manqué de courage, que beaucoup se sont trouvés en danger, et alors du milieu de ces dangers de la persécution une prière s’échappe de son âme : « C’est vers vous, Seigneur, que j’élève mes yeux ». Peu n’importent les menaces de ceux qui m’environnent : « C’est sur vous, ô mon Dieu, que s’arrêtent mes regards ». Mes yeux s’arrêtent plus sur vos promesses que sur leurs menaces. Je sais ce que vous avez souffert pour moi, et ce que vous m’avez promis. « Seigneur, mes yeux sont vers vous, en vous est mon espoir, ne laissez point périr mon âme ».
23. « Préservez-moi du piège qu’ils ont caché devant moi[3] ». Quel est ce piège ? Si tu consens, je te pardonne. L’appât de ce piège est l’amour de la vie ; si l’oiseau aime cet appât, il tombe dans le piège ; mais si l’oiseau est de nature à dire : « Je n’ai point désiré les jours de l’homme, vous le savez[4] », ses yeux ne se détourneront point de Dieu, et lui-même dégagera ses pieds du piège[5]. « Préservez – moi du piège qu’ils ont placé devant moi, et des scandales de ceux qui cornu mettent l’iniquité ». Le Prophète marque ici deux points qu’il faut distinguer avec soin : qu’on lui a tendu un piège, et qu’il y a scandale de la part de ceux qui ont cédé aux persécuteurs en apostasiant ; il prie Dieu de le préserver de l’un et de l’autre. D’une part les menaces des persécuteurs, d’autre part la chute des timides ; je crains que les uns ne m’effraient, que les autres ne m’entraînent avec eux. Voilà ce qui t’arrivera si tu n’obéis promptement, me dit celui-ci : « Préservez-moi des pièges qu’ils m’ont tendu ». Voilà que ton frère s’est soumis, dit celui-là : « Préservez-moi des chutes de ceux qui commettent l’iniquité » ».
24. « Des pécheurs tomberont dans ses filets[6] ». Que veut dire ceci, mes frères : « Des pécheurs tomberont dans ses filets ? » Non pas tous les pécheurs, mais quelques pécheurs qui sont pécheurs au point d’aimer cette vie, et de la préférer à la vie éternelle ; ceux-là tomberont dans ses filets. Mais que dis-je ? tous ceux qui aiment la vie tomberaient-ils dans ses filets ? Que seraient devenus vos disciples, ô Christ ? Dans le feu de la persécution ils vous abandonnèrent, et s’en allèrent chacun de son côté : vous l’aviez prédit, parce que vous le saviez d’avance ; car cela n’arriva point parce que vous l’aviez prédit, et ce n’est point vous qui vous êtes renié dans aucun d’eux. Mais enfin, ceux qui vous étaient le plus attachés s’enfuirent quand la persécution éclata contre vous, et que vos ennemis vinrent vous saisir pour vous clouer à la croix. Et le seul qui avait osé vous promettre de vous suivre jusqu’à la mort, apprit du médecin qu’il était malade et ce qu’il lui arriverait. Il avait la fièvre et se croyait en santé, le médecin lui touchait la veine du cœur. Enfin arriva la tentation, arriva l’épreuve, arriva l’accusation. On le met à la question, et ce n’est point une grande puissance, mais une esclave, mais unie femme, et il succombe devant la question d’une servante. Trois fois il renie son Maître. Après la première négation il se souvient de ce qui lui a été dit, et renie une seconde fois ; à cette seconde négation, il se souvient encore et renie une troisième fois. Le Seigneur l’avait prédit, mais ne l’avait ni commandé, ni imposé. Et si l’on croit que Pierre n’a pas été

  1. 1 Cor. 1,28
  2. Ps. 140,8
  3. Id. 9
  4. Jer. 17,16
  5. Ps. 24,15
  6. Ps. 140,10