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pris. Il nourrit nos ailes par ses préceptes nous les étendons, maintenant qu’elles ne sont plus engluées. N’aimons point la mer, volons aux extrémités de la mer. Arrière toute crainte, arrière aussi toute présomption au sujet de nos ailes ; car, en dépit de ces ailes, si Dieu ne nous élève, si Dieu ne nous conduit, de lassitude et de fatigue nous tomberons dans les gouffres de la mer, parce que nous aurons trop présumé de nos forces. Il nous faut donc des ailes, et il faut que Dieu nous conduise ; car il est notre soutien. Nous avons sans doute notre libre arbitre, mais avec ce même libre arbitre, que pouvons-nous sans le secours de celui qui nous commande ? « C’est là que me conduira votre main, que m’amènera votre droite ».
14. Mais que dit-il en lui-même, en considérant la longueur du chemin ? Et j’ai dit : « Peut-être les ténèbres vont-elles me couvrir[1] ». Voilà que je crois au Christ, voilà que je m’élève sur les deux ailes de la charité, et néanmoins l’iniquité se multiplie dans le monde, et parce que l’iniquité se multiplie, la charité de plusieurs se refroidit. Ainsi l’a dit le Seigneur : « Comme l’iniquité abondera, la charité de plusieurs se refroidira[2] ». Que faire, dira-t-on, parmi tant de scandales, tant de péchés, tant de tentations qui nous jettent chaque jour dans le trouble, tant de suggestions criminelles qui nous assiègent sans relâche ? Comment arriver à l’extrémité de la mer ? J’entends dans la bouche de Dieu cette parole terrible : « Parce que l’iniquité se multipliera, la charité de plusieurs se refroidira ». Puis il ajoute « Celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin[3] ». Or, à la vue d’un chemin si long, je me suis dit : « Peut-être les ténèbres vont-elles me couvrir, et la nuit sera ma lumière dans mes délices » La nuit est devenue ma lumière, parce que dans la nuit j’avais désespéré de pouvoir franchir une si vaste mer, de fournir une si longue route, et d’arriver à l’extrémité en persévérant jusqu’à la fin. Grâces à celui qui m’a recherché dans ma fuite, qui a meurtri mes épaules de son fouet, qui, en m’appelant à lui, m’a rappelé de la mort, qui a fait de ma nuit même une lumière. Car la nuit c’est notre vie entière comment cette nuit est-elle éclairée ? C’est que le Christ est descendu dans cette nuit. Il a pris une chair de ce siècle ténébreux, et a éclairé la nuit pour nous. La femme qui avait perdu une drachme alluma un flambeau[4]. La sagesse de Dieu avait perdu une drachme ; et qu’est-ce qu’une drachme ? Une pièce de monnaie qui porte l’image de notre chef. L’homme a été créé à l’image de Dieu[5], puis il s’est perdu. Or, que fait la femme dans sa sagesse ? Elle allume une lampe. Cette lampe est un vase de terre, mais elle contient une lumière qui fait retrouver la drachme. La lampe de la sagesse, la chair du Christ, est donc faite en terre ; mais elle brille par son Verbe et retrouve ceux qui étaient perdus. « Et la nuit est devenue une lumière dans mes délices ». La nuit a eu des délices pour moi. C’est le Christ qui fait nos délices. Voyez quelle est maintenant la joie qu’il nous cause. D’où viennent ces acclamations, ces trépignements de joie, sinon de vos délices ? Et d’où viennent ces délices, sinon de la lumière qui a éclairé notre nuit, sinon de ce que l’on nous prêche le Christ notre Seigneur ? Il vous a cherchés avant que vous l’eussiez cherché, et il vous a trouvés afin que vous pussiez le trouver. « Et la nuit m’a éclairé dans mes délices ».
15. « Devant vous les ténèbres n’ont point d’obscurité[6] ». Toi donc, n’obscurcis pas tes ténèbres ; car Dieu ne les obscurcit point ; mais plutôt il les éclaire, et c’est à lui que le Psalmiste a dit ailleurs : « C’est vous qui allumerez mon flambeau, Seigneur mon Dieu, vous illuminerez mes ténèbres[7]4 ». Or, quels sont les hommes qui obscurcissent leurs ténèbres que le Seigneur n’obscurcit point ? Les méchants, les pervers, les pécheurs sont ténèbres ; tant qu’ils ne confessent point les fautes qu’ils ont commises, mais cherchent même à les défendre, ils obscurcissent leurs ténèbres. Donc, avoir péché, c’est être déjà dans les ténèbres ; mais confesser humblement tes ténèbres, c’est mériter qu’elles soient éclairées ; les défendre, c’est les épaissir davantage. Or, comment échapper à ces doubles ténèbres, lorsque de simples ténèbres étaient si accablantes ? Mais quand est-ce que le Seigneur n’obscurcit point nos ténèbres ? Quand il ne laisse point nos fautes impunies ; quand il nous châtie et nous redresse par les tribulations de cette vie. Sachez-

  1. Ps. 138,11
  2. Mt. 24,12
  3. Id. 13
  4. Lc. 15,8
  5. Gen. 1,27
  6. Ps. 138,12
  7. Id. 17,29