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pas, si tu n’avais en toi quelque justice. Si donc tout ce que nous louons n’obtient nos éloges que par la bonté, tu ne saurais avoir pour louer Dieu un motif plus grand et plus solide que sa bonté. Donc, « louez le Seigneur parce qu’il est bon ».
5. Jusques à quand parlerons-nous de sa bonté ? Qui peut concevoir en son cœur, ou mesurer combien le Seigneur est bon ? Mais rentrons en nous-mêmes, reconnaissons Dieu en nous, et bénissons l’ouvrier dans ses œuvres, puisque nous sommes impuissants à le contempler en lui-même. Il est vrai que nous le pourrons un jour, quand notre cœur sera purifié par la foi, de manière à trouver sa joie dans la vérité : mais maintenant, comme nous ne saurions le voir, considérons ses œuvres, afin de ne point demeurer sans le bénir. « Louez donc le Seigneur », ai-je dit, « parce qu’il est bon ; chantez son nom parce qu’il est doux ». Dieu pourrait être bon, sans être doux, s’il ne te donnait à goûter cette douceur ; mais il s’est montré bon pour les hommes, au point de leur envoyer un pain du ciel, de livrer pour qu’il devînt un homme et mourût pour les hommes, son propre Fils qui est égal à lui-même, qui est tout ce qu’il est ; et ainsi ce que tu es peut te faire goûter ce qui n’est pas encore. Goûter la douceur de Dieu surpassait tes forces ; d’une part elle était trop éloignée, trop relevée, et d’autre part, tu étais trop abaissé, trop plongé dans la boue. À cette effroyable distance, il t’a envoyé un médiateur. Homme, tu ne pouvais aller à Dieu, et Dieu s’est fait homme, afin que toi qui es homme, et qui ne saurais t’approcher de Dieu, mais de l’homme, tu pusses par l’homme arriver à Dieu ; et que Jésus-Christ homme fût médiateur entre Dieu et les hommes[1]. S’il n’eût été qu’un homme, en suivant ce que tu es toi-même, tu n’aurais pas poussé plus avant ; s’il n’eût été qu’un Dieu, impuissant à comprendre Dieu, tu n’eusses pu arriver jusqu’à lui or, Dieu s’est fait homme, afin qu’en suivant cet homme, ce qui est possible pour toi, tu pusses parvenir à Dieu, ce que tu ne pouvais faire. C’est donc lui qui est médiateur, et qui est ainsi devenu doux pour nous. Quoi de plus suave que le pain des anges ? Comment Dieu aie serait-il pas doux, quand l’homme a mangé le pain des anges[2] ? Car l’ange n’a point une nourriture, et l’homme une nourriture. Cette nourriture, c’est la vérité, c’est la sagesse, c’est la force de Dieu ; mais tu ne saurais en jouir, à la manière des anges. Comment les anges peuvent-ils jouir de lui ? Tel qu’il est : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; c’est par lui que tout a été fait[3] ». Mais toi, comment peux-tu l’atteindre ? Parce que « le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous[4] ». Afin que l’homme pût manger le pain des anges, le Créateur des anges s’est fait homme : « Chantez donc son nom parce qu’il est doux ». Si vous l’avez goûté, chantez-le ; chantez le Seigneur, si vous avez goûté combien il est doux ; si vous goûtez quelque part une douceur, bénissez-le. Quel est l’homme si ingrat envers son cuisinier ou son panetier, qui ne le remercie point par une louange, quand il a trouvé quelques délices dans un ragoût ? Si nous ne gardons point le silence dans ces sortes de bien, le garderons-nous pour l’auteur de tous ces biens ? « Chantez son nom parce qu’il est doux ».
6. Et maintenant voyez ses œuvres. Il vous fallait peut-être des efforts pour voir le bien de tous les biens, le bien sans lequel rien n’est bien, le bien qui, sans tout le reste, est le souverain bien ; vous faisiez des efforts pour le voir, et peut-être qu’une telle tension d’esprit demeurait sans succès. Je juge de vous par moi-même, c’est là que j’en suis. Mais s’il est un homme, comme cela est fort possible, qui ait l’esprit plus pénétrant que moi, et qui tienne le regard de son âme longtemps fixé sur ce qui est ; que cet homme loue Dieu comme il le peut, et beaucoup mieux que nous ne pouvons nous-mêmes. Toutefois remercions le Seigneur qui, dans notre psaume, a tellement conditionné sa louange, que les forts et les faibles puissent la chanter. Quand il envoyait son serviteur Moïse et lui disait : « Je suis celui qui suis » ; et encore : « Tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous[5] » ; comme cet Être par soi-même était difficile à saisir pour l’esprit humain, et comme c’était un homme envoyé vers des hommes, quoiqu’il ne fût point envoyé par un homme, le Seigneur tempéra sa louange, et dit de lui-même ce que l’on pouvait comprendre, même avec douceur, et sans s’arrêter à un honneur auquel ne pouvait

  1. 1 Tim. 2,5
  2. Ps. 77,25
  3. Jn. 1,1
  4. Id. 14
  5. Exod. 3,14