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tu me ravis la véritable gloire ; et en louant Jésus-Christ, c’est de Jésus-Christ que tu m’éloignes. Qu’est-ce que cette vie, me dis-tu ? Tel en est venu à bout, mais toi, tu ne le pourras pas. Tout en essayant de monter tu tomberas. Il semble t’avertir, et c’est un serpent, une langue trompeuse, pleine de venin. Défends-toi d’elle par des supplications, et dis au Seigneur : « Délivrez mon âme, ô mon Dieu, des lèvres injustes et des langues trompeuses ».
5. Et le Seigneur te répond : « Que te donnerai-je, que mettrai-je devant toi contre la langue trompeuse » ; c’est-à-dire, quelles sont tes armes contre la langue trompeuse, que peux-tu lui opposer, comment t’en défendre ? « Que te donnerai-je, que mettrai-je devant toi ? » Il nous interroge pour appeler notre attention, car c’est lui qui va répondre à sa question ; et il le fait aussitôt, quand il ajoute : « Les flèches du puissant sont aiguës, comme des charbons dévastateurs[1] », ou « désolateurs » ; mais « dévastateurs » ou « désolateurs », car on trouve l’une et l’autre expression dans les différents exemplaires ; elles ont le même sens. Voyez : on les appelle des charbons dévastateurs, parce qu’ils nous conduisent facilement à la désolation, en nous ravageant et en nous dévastant. Quels sont ces charbons ? Que votre charité veuille comprendre d’abord quelles sont les flèches. « Ces flèches aiguës du puissant » sont les paroles de Dieu. Qu’on les lance, elles pénètrent les cœurs. Mais ces flèches, en traversant les cœurs, y allument un vif amour au lieu d’y apporter la mort. Le Seigneur sait attiser l’amour avec ces flèches et nul ne lance une flèche d’amour mieux que celui qui lance la flèche de la parole ; il perce le cœur de l’amant, afin de l’aider à aimer davantage ; il le perce, afin de l’embraser d’amour. Or, ces flèches sont les paroles saintes. Mais quels sont ces charbons désolateurs ? C’est peu que la parole pour agir contre les langues trompeuses, les lèvres de l’iniquité, c’est peu que la parole, il faut l’exemple. L’exemple est donc le charbon qui désole. Que votre charité veuille bien écouter pourquoi il est appelé désolateur. Voyez d’abord comment on agit par l’exemple. Leur langue trompeuse ne sait que dire, et dès lors elle en est plus trompeuse encore ; prends garde qu’une telle vie ne soif supérieure à tes forces, n’est-ce point trop entreprendre ? Mais tu connais le précepte de l’Évangile ; c’est là ta flèche, et toutefois tu n’as pas les charbons. Il est à craindre que la flèche seule ne soit trop faible contre la langue trompeuse, prends aussi les charbons. Voilà que le Seigneur te vient dire : Tu ne saurais faire cela ? Pourquoi donc celui-ci l’a-t-il pu ? celui-là encore ? Seras-tu plus mou que ce sénateur ? plus faible de santé que cet homme, ou que cet autre ? Serais-tu plus débile qu’une femme ? Des femmes l’ont pu, des hommes ne le pourront ? Des pauvres ne pourraient ce qu’ont pu des riches efféminés ? C’est vrai, diras-tu, mais, pour moi, je suis un grand coupable, j’ai beaucoup péché. On vous montre de grands pécheurs, qui ont d’autant plus aimé qu’on leur a plus pardonné ; c’est le mot de l’Évangile : « Celui à qui on pardonne peu, aime peu »[2]. Après cette énumération, et quand le Seigneur a désigné par leur nom ceux qui ont triomphé, l’homme, percé au cœur par une flèche, brûlé par ces charbons qui désolent, sent la ruine dans ses terrestres pensées. Qu’est-ce à dire la ruine ? Qu’elles sont dévastées chez lui. Une funeste végétation s’était faite en son âme, végétation de pensées terrestres, d’affections mondaines ; voilà ce que brûlent ces charbons dévastateurs, afin que ce champ se déblaie et se purifie, et que Dieu puisse y construire son édifice. Où le diable n’avait fait qu’une ruine, le Christ y bâtira une demeure solide ; tant que (hure, en effet, le séjour du démon, le Christ ne saurait être édifié. Ces charbons désolants viennent donc détruire ce qui avait été si malencontreusement édifié, et quand ce lieu est déblayé, s’élève alors l’édifice de l’éternelle félicité. Voyez : pourquoi ce nom de charbons ? C’est parce que, revenir au Seigneur, c’est passer de la mort à la vie. Vous allumez ces charbons ; mais, avant qu’ils fussent allumés, ils étaient éteints. Mais un charbon éteint s’appelle un charbon mort ; il est vif, au contraire, quand il est allumé. L’exemple de ces pécheurs nombreux, qui sont revenus au Seigneur, est appelé un charbon. Tu entends parfois des hommes dire avec surprise : J’ai connu un tel, quel ivrogne, quel scélérat ! Quel homme passionné pour le cirque et l’amphithéâtre ! Quel fripon ! Aujourd’hui

  1. Ps. 119,4
  2. Lc. 7,47