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pour l’empêcher de parvenir à ce séjour heureux d’où il est lui-même tombé. Et comme il sait que notre juge n’acceptera pas de fausses accusations contre nous, il cherche à nous précipiter en des fautes réelles : si notre avenir devait se décider au tribunal d’un homme, facile à tromper par des calomnies et des impostures, il ne prendrait ni tant de peines, ni de si minutieuses précautions pour nous faire commettre le péché ; car il pourrait jeter notre juge dans l’erreur, et opprimer ainsi l’innocence ; et alors, il nous entraînerait aisément dans le piégé, et rien ne lui serait plus facile que de s’emparer de nous, et de nous faire condamner avec lui. Mais il ne l’ignore pas, nous avons un juge qu’on ne peut surprendre, un juge équitable qui ne fait acception de personne, un juge, enfin, devant lequel il ne veut faire paraître que de vrais coupables, parce que Dieu étant souverainement juste, les condamnera nécessairement. L’envie seule, compagne obligée de son orgueil, porte donc le démon à nous pousser dans l’abîme du péché. D’où il suit que l’orgueil est un grand mal, puisqu’il nous empêche de devenir parfaits. Qu’on se vante autant qu’on voudra de ses richesses, de la beauté et de la force de son corps ; tous ces avantages ne dureront qu’un temps, et ceux-là sont vraiment ridicules, qui se glorifient de choses périssables, qu’ils sont très souvent exposés à perdre pendant leur vie, et dont ils devront, de toute nécessité, se séparer au moment de la mort. L’orgueil est un vice capital, puisqu’il suffit d’une seule tentation d’orgueil pour faire perdre à un homme, déjà avancé dans la pratique du bien, tout le terrain qu’il a précédemment parcouru. Les autres vices sont à craindre pour les mauvaises actions que nous pouvons commettre ; nous devons redouter encore davantage l’orgueil, quand nous en taisons de bonnes. Il n’est donc pas étonnant que saint Paul ait été assez humble pour dire : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort », Pour l’empêcher d’être tenté par l’orgueil, savez-vous quel remède a employé le sage médecin qui connaissait le mal, et voulait le guérir ? L’Apôtre va nous le dire : « De peur que la grandeur de mes révélations ne m’inspirât de l’orgueil, Dieu a permis que je ressente dans ma chair un aiguillon, qui est l’ange et le ministre de Satan, pour me donner des soufflets. C’est pourquoi j’ai prié le Seigneur par trois fois, afin que cet ange de « Satan se retirât de moi, et il m’a répondu « Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse[1] ». Voyez en quoi consiste la consommation dont parle le Psalmiste. L’Apôtre, le docteur des nations, le père des fidèles qu’il a engendrés par l’Évangile, a reçu l’aiguillon de la chair pour en être souffleté. Y en aurait-il un seul parmi nous, pour oser s’exprimer ainsi à l’égard de saint Paul, s’il ne l’avait lui-même déclaré humblement ? En disant qu’il n’a pas eu à supporter une pareille humiliation, nous croirions lui faire honneur, et en définitive, nous le taxerions de mensonge. Mais comme il était sincère, et qu’il a dit la vérité, nous devons ajouter foi entière à ses paroles, quand il nous dit que Dieu lui a envoyé l’ange de Satan pour l’empêcher de s’enorgueillir de la sublimité de ses révélations. Le serpent de l’orgueil est donc bien à craindre. Mais qu’est-il advenu des Juifs ? Ils ont été pris dans leur péché, car ils ont fait mourir le Christ, et plus grand a été leur crime, plus aussi ils se sont humiliés, et plus ils ont mérité par là d’être relevés ; ainsi, « qu’ils soient pris dans leur propre orgueil : et leur malédiction et leur mensonge produiront leur « perfection » ; c’est-à-dire, ils deviendront d’autant plus parfaits, qu’ils ont été surpris à maudire et à mentir. En effet, l’orgueil ne – leur permettait point de s’avancer vers la perfection : il leur a fait commettre un grand crime, mais par l’humble confession qu’ils en ont faite, ils se sont débarrassés de ce malheureux vice ; alors, ils en ont obtenu le pardon ; la miséricorde divine leur a rendu l’innocence, et, parce que de leur bouche étaient sortis la malédiction et le mensonge, ils sont devenus parfaits. Il a été dit à l’homme : Tu as vu et compris, par ton expérience, ce que tu es : tu t’es égaré, tu es tombé dans l’aveuglement, tu as commis le péché et fait une lourde chute ; tu as reconnu ta faiblesse, aie donc recours au médecin, et ne te crois pas en bonne santé. Vois l’abîme où t’a précipité ta frénésie ! Tu as fait mourir ton médecin, et tout en le livrant à la mort, tu n’as pu l’anéantir ; mais, du moins, as-tu agi dans la mesure de tes forces pour l’exterminer. « Votre malédiction et votre mensonge serviront à

  1. 2 Cor. 12,7-10