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que dispense aux hommes la main du Seigneur : il n’a en vue que le Dieu qui se donne lui-même. Mes frères, tous les biens énumérés par les enfants étrangers, Dieu les donne : il les accorde même aux étrangers, même aux méchants, même aux blasphémateurs, car il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants : il fait tomber la pluie sur les justes et sur les pécheurs : il les accorde parfois aux bons ; parfois aussi il les leur refuse, comme il les donne et les refuse aux méchants ; mais, tandis qu’il réserve à ceux-ci un feu éternel, il se réserve à lui-même pour ceux-là[1]. Il y a donc un mal exclusivement réservé aux pécheurs, comme il y a un bien spécialement destiné aux justes ; et, enfin, comme intermédiaire entre ce bien et ce mal, il y a des biens et des maux répartis indistinctement entre les uns et les autres.
17. Aimons donc Dieu, mes frères ; aimons-le d’un amour chaste et pur. Notre affection n’est pas pure, si nous aimons Dieu pour la récompense que nous en attendons. Hé quoi ! si nous servons Dieu, n’en recevons-nous pas une récompense ? Oui, et cette récompense sera le Dieu lui-même que nous servons : il sera notre récompense, car nous le verrons tel qu’il est[2]. Vois en quoi consiste cette récompense qui t’est réservée. Qu’est-ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ dit à ceux qui l’aiment ? « Celui qui m’aime, garde mes commandements : celui qui m’aime, sera aimé de mon Père, et je l’aimerai ». Que lui donnerez-vous donc ? « Je me montrerai à lui[3] » Si tu n’aimes pas Dieu, cette récompense te paraîtra de mince valeur : aime-le, qu’il soit l’objet de tes désirs les plus ardents, sers-le gratuitement comme tu as été racheté par lui, car, sous aucun rapport, tu n’avais mérité qu’il mourût pour toi : considère toutes les grâces dont il t’a comblé ; brûle du désir de le posséder, et alors, tu ne lui demanderas rien autre chose que lui-même : il te suffira, Si avare que tu puisses être, Dieu te suffit. Ton désir de posséder va peut-être jusqu’à vouloir devenir le maître de toute la terre, peut-être même du ciel. Celui qui a créé l’un et l’autre est plus grand que tous les deux. Mes frères, oserai-je le dire ? Que les mariages d’ici-bas vous apprennent en quoi consiste un amour chaste et pur : ces mariages se ressentent nécessairement de l’infirmité humaine. Celui-là n’aime pas son Épouse, qui s’unit à elle pour sa dot ; et celle-là n’aime pas son Époux, qui l’aime uniquement à cause des quelques présents ou des grands biens qu’elle en a reçus. On a vu souvent un mari, d’abord fortuné, devenir ensuite très pauvre : une multitude d’hommes se sont vus proscrits. À partir de ce jour de chastes Épouses les ont chéris davantage. Le malheur des maris a souvent servi d’épreuve pour reconnaître la pureté des unions conjugales : afin de montrer qu’elles n’aimaient personne autre, des femmes, loin d’abandonner leurs maris, se sont alors plus fortement attachées à eux. Si donc une femme aime son mari, qui n’est pourtant qu’un homme, d’une manière si désintéressée et si pure ; si un homme s’affectionne si gratuitement, et d’une amitié si chaste, une femme qui n’est que chair, comment devons-nous aimer Dieu, ce véritable et sincère Époux des âmes, qui leur communique le pouvoir d’engendrer pour la vie éternelle, et qui ne permet pas aux nôtres de demeurer stériles ? Aimons-le donc si vivement, que nous n’en aimions pas d’autre, et alors se réalisera en nous cette parole que nous avons récitée et chantée, et qui, à vrai dire, se trouve être la nôtre : « Quel que soit le jour où je vous invoque, je sais que vous êtes mon Dieu ». Invoquer Dieu, c’est l’invoquer tout seul : aussi, comment certains autres hommes ont-ils agi, d’après l’Écriture ? « Ils n’ont pas invoqué Dieu ». Pourtant ils croyaient l’invoquer, puisqu’ils le priaient de leur accorder des héritages, d’augmenter leur fortune, de prolonger leur vie, de veiller sur tous leurs autres intérêts temporels. En quels termes l’Écriture parle-t-elle de pareilles gens ? « Ils n’ont pas invoqué Dieu ; aussi la crainte les a-t-elle saisis là où il n’y avait rien à craindre[4] ». Que veulent dire ces paroles : « Quand il n’y avait rien à craindre ? » Ils tremblaient de se voir dépouillés de leur argent, de remarquer, dans leur maison, une moins grande quantité de meubles, de vivre en ce monde moins longtemps qu’ils ne le pensaient. « Mais la crainte les a saisis là où ils n’avaient rien à craindre ». Ne voyons-nous pas là l’histoire des Juifs ? « Si nous le laissons vivre, les Romains viendront et ruineront notre ville ». « Ils ont tremblé quand ils n’avaient rien à craindre. Je sais que vous êtes

  1. Mt. 25,41
  2. Jn. 3,2
  3. Jn. 14,23
  4. Ps. 13,5