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n’avait-il pas dit, en effet, à ses disciples : « Est-ce que je ne vous ai pas choisis tous les douze ? Et pourtant, il y en a un parmi vous qui est un démon[1] ». De là pourrait-on inférer que le démon a été choisi ? Et si Notre-Seigneur ne l’a pas choisi, comment les Apôtres se sont-ils trouvés au nombre de douze, au lieu de ne se trouver qu’au nombre de onze ? Comme les autres, Judas a été choisi, mais dans un autre but. Les onze ont été choisis pour être éprouvés ; Judas l’a été pour tenter. Tu devais ignorer de quels hommes méchants il faudrait t’éloigner, de quels fourbes et de quels hypocrites il te faudrait prendre garde ; tu ne devais pas connaître ceux qui habiteraient avec toi comme étrangers, et te déguiseraient leurs pensées perverses : comment le Sauveur aurait-il pu te servir d’exemple, s’il ne t’avait dit : J’ai eu l’un d’entre eux en ma compagnie ; je t’ai donné d’avance un modèle en ma personne ; j’ai supporté, j’ai voulu souffrir à côté de moi un homme dont les déguisements m’étaient parfaitement connus, et, par là, te donner une consolation pour les circonstances où tu ne saurais distinguer tes ennemis ? Un hypocrite m’a fait souffrir : un hypocrite agira de même à ton égard ; pour être plus fort, pour te tourmenter davantage, on t’accusera, on t’imputera des crimes imaginaires ; je suppose que ces calomnies prévalent contre toi : seras-tu seul victime de ces procédés coupables ? N’en ai-je pas été moi-même la victime ? Oui, les calomnies des méchants ont prévalu contre moi, et, toutefois, elles ne m’ont point ravi le ciel. Quoique le corps du Sauveur fût déjà enseveli, de faux témoins se présentèrent encore pour déposer contre lui : ce n’avait pas été assez, pour ses ennemis, de le calomnier devant les tribunaux ; ils voulurent le flétrir encore jusque dans son tombeau. Ayant reçu de l’argent comme prix de leur mensonge, ils firent cette déposition : « Pendant que nous dormions, ses disciples sont venus et l’ont enlevé[2] ». Il fallait vraiment que ces Juifs fussent devenus aveugles, pour croire à un témoignage aussi incroyable, pour croire au témoignage de gens endormis. Ou bien, les témoins ne dormaient pas, et alors, on ne devait pas ajouter foi à leurs paroles, puisqu’elles étaient mensongères : ou bien, ils dormaient réellement ; et, alors, comment ont-ils pu voir ce qui se passait ? « Ils habiteront comme des étrangers et ils se cacheront ». Ils auront beau demeurer et se cacher, que pourront-ils faire ? « Pour moi, j’ai mis en Dieu mon espérance : je ne craindrai point ce que l’homme pourra me faire ».
10. « Ils observeront toutes mes démarches ». Les hommes, qui habitent comme étrangers et se cachent, ne le font que pour voir où la faiblesse humaine nous fera tomber : ils sont attentifs à chacun de nos pas, et, dès que nous venons à tomber, ils saisissent nos pieds, afin de nous faire périr : ou bien, ils mettent leur pied devant nous pour nous jeter à terre ; ou bien encore, et surtout, ils s’efforcent de trouver, en notre conduite, un prétexte à accusations. Quel est celui qui ne tombe jamais en faute ? Y a-t-il rien de plus facile, surtout quand on parle ? Car n’est-il pas écrit : « Si quelqu’un ne pèche point par la langue, il est parfait[3] ? » Qui est-ce qui osera se dire ou se croire arrivé à la perfection ? Il est donc indubitable qu’on pèche en parlant. Ceux qui demeurent parmi nous comme étrangers et qui s’y cachent, examinent toutes nos paroles : ils s’ingénient à nous tendre des pièges et à lancer contre nous d’inextricables mensonges, au milieu desquels ils s’embarrassent eux-mêmes, avant d’y embarrasser les autres : par là, ils se prennent d’abord eux-mêmes, et périssent les premiers dans les lacets où ils prétendaient prendre et faire périr les autres. L’homme exposé à leurs artifices, rentre dans son propre cœur, et de là, il élève ses pensées vers Dieu, et il apprend à dire : « En Dieu, je louerai mes discours ». Tout ce que j’ai dit de bon et de vrai, je l’ai dit pour Dieu, et sous son inspiration ; et si, par hasard, j’ai dit ce que je ne devais pas dire, c’est comme homme que je l’ai dit, mais comme homme soumis à Dieu, à ce Dieu qui soutient celui qui marche dans le chemin droit, qui rappelle par ses menaces celui qui s’égare, qui pardonne à celui qui reconnaît ses fautes, qui lui fait rétracter ses paroles imprudentes, qui le relève de ses chutes. Car le juste tombera et se relèvera sept fois, mais les impies persévéreront dans le mal[4]. Qu’aucun d’entre nous ne craigne donc ces hommes hypocrites, acharnés à nous suivre, à scruter nos paroles, je dirais presque, à compter les syllabes qui s’échappent de nos lèvres. Qu’aucun de nous ne redoute les violateurs

  1. Jn. 6,71
  2. Mt. 28,13
  3. Jn. 3,2
  4. Prov. 24,6