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Dieu pour leur Roi et qui lui ont préféré un homme, que ceux-là soient rejetés loin des saints ! Une nation qui met son bonheur à obéir à un homme, une nation qui repousse bien loin d’elle la royale autorité du Seigneur, une nation qui oublie que se soumettre à la royauté de Dieu, c’est régner soi-même et exercer sur ses passions un empire souverain, cette nation s’est constituée dans un état de complet éloignement à l’égard des saints. Par conséquent, mes frères, vous ne devez point regarder les Juifs comme seuls coupables d’une pareille faute ; ils en ont donné le premier exemple, et, en considérant leur conduite, chacun devrait y voir un écueil à éviter. Ils ont ouvertement renié Jésus-Christ comme Roi ; ils ont choisi César. Sans doute César est un roi, mais un roi homme parmi d’autres hommes, pour gouverner tes choses de la terre ; or, il y a un autre Roi, qui exerce son empire sur les choses du ciel. La puissance de l’un ne dépasse point les limites de cette vie passagère ; celle de l’autre embrasse l’éternité. Celui-ci appartient au ciel, celui-là à la terre ; le roi de ce monde est soumis au Roi du ciel ; le Roi du ciel est supérieur à tout. En demandant César pour roi, les Juifs n’ont donc point péché ; leur crime a consisté à ne point accepter la royauté du Christ. Il y en a beaucoup maintenant pour ne pas reconnaître la puissance souveraine du Christ, qui règne dans les cieux et gouverne toutes choses. Voilà ceux qui nous font souffrir, et nous trouvons dans ce psaume de quoi nous affermir contre eux. Il faut nécessairement que nous ayons à souffrir de leur part jusqu’à la fin ; il n’en serait pas de même si Dieu ne le jugeait utile pour nous. Toute tentation est, en effet, une épreuve, et toute épreuve porte ses fruits ; car, d’ordinaire, l’homme s’ignore lui-même ; il ne sait ni ce dont il est capable, ni ce dont il est incapable ; tantôt il présume à tort de lui-même, et parfois il doute de ses forces quand il n’a pas lieu de s’en défier ; une tentation se présente : c’est pour lui un moyen de s’interroger sur sa valeur réelle et de se connaître tel qu’il est. Dieu le connaissait, mais il ne se connaissait pas lui-même. Par un sentiment de confiance présomptueuse, Pierre avait cru que ce qu’il n’avait pas encore se trouvait en lui ; il s’était imaginé qu’il était assez fort pour persévérer jusqu’à la mort dans la fidélité à Notre-Seigneur Jésus-Christ ; Pierre ignorait combien il était faible, mais Dieu le savait. On lui répondit qu’il se trompait et qu’il était encore incapable d’un pareil dévouement. Celui qui lui parlait de la sorte l’avait créé et devait lui donner le courage nécessaire à un pareil sacrifice ; le Sauveur savait qu’il n’avait pas encore communiqué cette grâce à Pierre ; Pierre ignorait qu’il ne l’avait pas encore reçue ; le moment de la tentation arrivé, il renia son Maître, puis il pleura, et enfin il reçut la force d’en haut[1]. Nous n’avons rien de nous-mêmes ; il nous faut donc demander, mais nous ne savons ce que nous devons demander ; nous recevons la grâce de Dieu, mais nous ignorons la nécessité de lui témoigner notre reconnaissance ; par conséquent les tentations et les peines sont toujours indispensables dans le cours de notre vie, pour nous instruire ; mais nos tribulations ne peuvent avoir d’autre cause que les hommes séparés des saints. Remarquez-le bien, mes frères, cette séparation n’est pas physique et corporelle ; elle est toute spirituelle et morale. Il arrive souvent, en effet, qu’un homme, très éloigné de toi par la distance des lieux, se trouve néanmoins en parfaite union avec toi, parce qu’il aime ce que tu aimes. Il peut se faire aussi que ton voisin soit uni de cœur avec toi, parce que vos mutuelles affections se portent sur le même objet ; mais par une raison tout opposée, il arrivera qu’un habitant de la même maison soit bien éloigné de toi, parce qu’il aime le monde et que tu aimes Dieu.
3. Mais quel est le sens de ces autres paroles, qui appartiennent encore au titre et le complètent : « Les Allophyles se sont saisis de David dans Geth ». Geth était une ville des Allophyles, c’est-à-dire des étrangers, d’un peuple éloigné des saints ; dès lors qu’ils sont étrangers, au lieu de se rapprocher des saints, ils s’en éloignent ; et tous ceux qui refusent de reconnaître le Christ pour leur Roi, deviennent des étrangers. Pourquoi cela ? Parce que la vigne, autrefois plantée par la main du Seigneur, ne donna que des fruits amers et mérita ainsi d’entendre le Seigneur lui adresser ce reproche : « Vigne étrangère, pourquoi tes fruits sont-ils devenus amers[2] ? » Dieu ne lui a pas dit : Tu es ma vigne, parce que, si elle eût été sa vigne, les fruits qu’elle donna eussent été remplis de douceur ; et parce que ses

  1. Lc. 22,35-62
  2. Jer. 2,21