Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/527

Cette page n’a pas encore été corrigée

vieillesse, ni mort, ni combat. Souffre ici-bas, puisque fa douleur doit finir. Souffre, de peur qu’en refusant de souffrir, tu n’arrives à la fin de ta vie sans arriver à la fin de tes douleurs. « Il ne comprendra point la mort en voyant mourir les sages ».
12. « L’imprudent et l’insensé périront ensemble[1] ». Qui est imprudent ? Celui qui l’envisage pas l’avenir. Qui est insensé ? Celui qui ne comprend pas son malheur. Mais toi, comprends ton malheureux sort en cette vie, et pense à devenir heureux dans l’avenir. Comprendre ton sort ici-bas, c’est n’être plus insensé ; et pourvoir à ton avenir, c’est n’être plus imprudent. Quel est celui qui pourvoit à son avenir ? C’est le serviteur à qui son maître avait donné l’administration de son bien, pour lui dire ensuite : « Vous ne pouvez plus gouverner mes biens, rendez compte de votre administration. Que ferai-je », dit en lui-même ce serviteur ? « je ne puis bêcher la terre, et je rougis de mendier[2] ». Mais, avec le bien de son maître, il se fit des amis qui pussent le recevoir quand il fut privé de son emploi. Il fit donc tort à son maître, afin de se faire des amis chez qui il pût se retirer ; mais toi, tu n’as pas à craindre de faire du tort, puisque le Seigneur t’y engage, en te disant lui-même : « Faites-vous des amis avec la monnaie de l’iniquité ». Peut-être tes biens ne sont-ils que le fruit de l’injustice ; ou peut-être y a-t-il injustice en ce que tu possèdes, et qu’un autre n’a rien ; que tu es dans l’abondance, un autre dans la pauvreté. Avec cette monnaie de l’iniquité, avec ces biens que les méchants seuls appellent des richesses, fais-toi des amis, et tu seras prudent. C’est amasser pour toi, sans tromper personne. Tu paraîtras dissipateur, mais est-ce dissiper son argent que de le mettre en trésor ? Voyez, mes frères, les enfants qui veulent acheter je ne sais quoi ; ont-ils trouvé quelques pièces de monnaie, ils les mettent dans quelque lieu secret, qu’ils n’ouvrent que longtemps après. Ont-ils perdu leur trésor, parce qu’ils ne le voient point ? Soyez donc sans crainte vous-mêmes. Des enfants ont caché leur argent dans leur coffre, et sont pleins de sécurité, et tu craindrais en le plaçant dans les mains du Christ ? Sois donc prudent, et fais-toi des ressources pour l’avenir dans le ciel. Sois prudent et imite la fourmi, comme le dit l’Écriture[3] ; amasse pendant l’été, afin de ne pas souffrir de la disette en hiver : l’hiver, c’est le dernier jour, le jour de la tribulation ; l’hiver, c’est le jour des scandales et de l’amertume : amasse aujourd’hui ce qui peut te soutenir alors : si tu ne le fais, tu mourras tout à la fois imprudent et insensé.
13. Mais ce riche est mort et on lui a fait des funérailles dignes de lui. Voilà où les hommes en reviennent : ils ne considèrent point la vie d’un homme, mais la pompe de ses funérailles. O heureux celui qui fait verser tant de larmes ! Hélas ! il a vécu de manière à être regretté d’un petit nombre, et tous devraient pleurer celui qui mène une vie si désordonnée. Mais sa pompe funèbre était magnifique ; il repose dans un riche tombeau, de précieux tissus l’enveloppent, il est tout embaumé de parfums et d’aromates. Et puis quel tombeau on lui élève ! Quel marbre superbe ! Hélas ! vit-il dans ce tombeau ? Il y est mort. Voilà ce que les hommes ont pris pour des biens, et ils se sont éloignés de Dieu, et n’ont pas cherché les vrais biens, emportés qu’ils étaient par l’éclat des biens trompeurs : aussi voyez la suite. Celui qui n’a pas donné le prix de son âme, qui n’a pas compris la mort, parce qu’il a vu mourir les sages, a pris place parmi les imprudents et les insensés pour mourir avec eux. Et comment périront « ceux qui laisseront leurs richesses aux étrangers ? L’imprudent et l’insensé doivent mourir ensemble ».
14. Écoutez bien, mes frères ! « Et ils laisseront leurs richesses à l’étranger ». Il semble que le Prophète regarde comme une malédiction que des étrangers possèdent leurs biens après leur mort. Bienheureux alors ceux qui laisseront leurs biens à leurs enfants, qui ont les leurs pour héritiers ? Avoir des enfants, c’est n’être point mort. Que font les enfants ? Ils conservent à leur tour ce que leur ont laissé les parents ; et même c’est peu de le conserver, ils l’augmentent. Et pour qui conservent-ils ces richesses ? Pour leurs enfants, et ceux-ci à leur tour pour leurs enfants, et ces troisièmes pour leurs enfants encore. Qu’y aura-t-il donc pour le Christ ? Qu’y aura-t-il pour leur âme ? Tout sera-t-il pour les enfants ? Entre tous ces enfants qu’ils ont sur la terre, qu’ils daignent compter un frère qu’ils ont au ciel, à qui ils auraient dû tout donner,

  1. Ps. 48,11
  2. Lc. 16,1-2
  3. Prov. 6,6 ; 30,25