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nul ne désire les richesses que pour s’élever au-dessus de ceux qui l’environnent, et leur paraître supérieur. Leur interdire l’orgueil, c’est donc les rendre semblables à ceux qui n’ont rien ; et peut-être un mendiant est plus orgueilleux de ses quelques pièces de monnaie, que le riche docile à cette recommandation de saint Paul : « Défendez aux riches du siècle de s’enorgueillir ». Comment s’abstenir de l’orgueil ? En accomplissant ce qui suit : « De ne pas mettre leur confiance dans les richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec abondance ce qui nous est nécessaire pour la vie[1] ». L’Apôtre ne dit pas : Qui leur donne ; mais bien : « Qui nous donne ». Paul n’avait-il donc aucune richesse ? Il en avait assurément. Quelles richesses ? Celles dont l’Écriture a dit à un autre endroit : « Le monde entier est la richesse de l’homme fidèle[2][3] ». Écoute encore ce qu’il avoue de lui-même : « Nous paraissons ne rien posséder, quoique nous possédions tout[4] ». Quiconque désire la richesse, ne doit donc pas s’attacher à une partie, et il possédera le tout ; mais qu’il s’attache à Celui qui a tout créé. « Que le riche et le pauvre s’unissent ». Il est dit dans un autre psaume : « Que les pauvres mangent, et ils seront rassasiés ». Quel avantage fait-il aux pauvres ? « Qu’ils mangent et ils seront rassasiés ». Que mangeront-ils ? c’est le secret des fidèles. Comment seront-ils rassasiés ? En imitant la passion du Seigneur, et en ne laissant pas improductif le prix de leur rançon. « Les pauvres donc mangeront et seront rassasiés, et ils béniront le Seigneur, ceux qui le recherchent[5] ». Et les riches ? Ils mangent aussi. Mais comment ? « Tous les riches de la terre ont mangé et ont adoré[6] ». Le Prophète ne dit point : ils ont mangé et sont rassasiés ; mais bien : « Ils ont mangé et ils ont adoré ». Ils adorent Dieu à la vérité, mais ne veulent pas voir des frères dans les autres hommes. Ceux-ci mangent donc et ils adorent ; ceux-là mangent et sont rassasiés ; et tous mangent néanmoins. À celui qui mange on demandera compte de sa nourriture ; que le dispensateur de cette nourriture n’en éloigne personne, mais qu’il avertisse de redouter le compte à rendre. Que tous donc prêtent l’oreille à ces paroles, pécheurs et justes, peuples et habitants de la terre. « Et les habitants de la terre, et les enfants des hommes, et le riche et le pauvre ensemble », unis et non séparés. C’est le temps de la moisson qui doit séparer, c’est la main du vanneur qui le pourra faire[7]. Maintenant, que le riche et le pauvre s’unissent pour écouter, que les boucs et les agneaux paissent ensemble, jusqu’à l’avènement de Celui qui doit séparer les uns à sa droite, les autres à sa gauche[8]. Qu’ils s’unissent pour écouter le maître qui les instruit, de peur qu’ils ne soient séparés pour entendre le Juge qui les condamnera.
4. Mais que doivent-ils entendre maintenant ? « Ma bouche parlera la sagesse, et les méditations de mon cœur donneront l’intelligence[9] ». Ici encore il y a une répétition, de peur qu’après avoir dit : « Ma bouche », on ne crût entendre parler un homme qui aurait la sagesse sur les lèvres. Plusieurs ont en effet la sagesse sur les lèvres et non dans le cœur ; et c’est d’eux qu’il est dit : « Ce peuple m’honore des lèvres, et leur cœur est loin de moi[10] ». Que va donc te dire l’interlocuteur ? Après avoir dit : « Ma bouche parle la sagesse », afin que tu comprennes bien que la parole de la bouche émane véritablement du cœur, il ajoute : « Et la méditation de mon cœur donne l’intelligence ».
5. « Je prêterai l’oreille à la parabole, je développerai sur la harpe le sujet de mes chants[11] ». Quel est celui-ci dont le cœur, dans ses méditations, donne l’intelligence, en sorte qu’elle n’est pas seulement sur la superficie des lèvres, mais qu’elle pénètre l’intérieur de l’homme ? Quel est celui qui écoute et qui parle ensuite ? Beaucoup parlent sans avoir écouté. Quels sont donc ceux qui parlent sans avoir écouté ? Ceux qui ne font pas ce qu’ils disent ; tels ces Pharisiens, assis, dit le Seigneur, dans la chaire de Moïse. Dieu a voulu vous parler de cette chaire de Moïse par ces hommes qui disent et ne font pas. Le Seigneur a voulu par là vous donner la sécurité. Ne craignez point, dit-il, « faites ce qu’ils disent, mais ne faites pas ce qu’ils font, car ils disent et n’agissent pas[12] ». Ils n’écoutent pas ce qu’ils disent. Mais ceux qui disent et qui pratiquent, entendent ce qu’ils disent ; de là vient qu’ils parlent avec fruit, parce qu’ils écoutent. Celui-là donc qui parle sans écouter peut être utile aux

  1. 1 Tim. 6,17
  2. Prov. 17,6
  3. selon les LXX
  4. 2 Cor. 6,10
  5. Ps. 21,27
  6. Id. 30
  7. Mt. 3,12
  8. Id. 25,30-33
  9. Ps. 48,4
  10. Isa. 29,13
  11. Ps. 48,5
  12. Mt. 23,2-3