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16. Mais à l’égard de ces biens éternels, garde-toi de toute fausse idée, de peur que tu ne serves pas Dieu gratuitement, en te faisant des biens célestes une idée charnelle. Eh quoi ! si tu sers le Seigneur parce qu’il te donne une belle terre, cesseras-tu de le servir s’il te la reprend ? Mais peut-être dis-tu en toi-même : Je servirai Dieu parce qu’il doit te donner une belle campagne, mais qui n’est point du temps. Tu as encore des motifs défectueux, car tu ne sers point le Seigneur par amour simplement, puisque tu en attends une récompense. Tu veux avoir dans le siècle à venir ce que tu dois quitter dans celui-ci ; tu veux changer et non retrancher tes délices charnelles. On ne fait pas un mérite de jeûner à celui qui ne le fait que pour se préparer à un dîner d’apparat. Souvent en effet on invite à un grand repas des hommes qui ont jeûné pour y venir avec plus d’appétit ; ce jeûne est-il bien celui de la continence, et ne serait-il pas celui de l’intempérance ? Garde-toi donc d’espérer que Dieu te donnera ce qu’il t’ordonne de mépriser en cette vie. C’est en effet ce qu’espéraient les Juifs, c’est la question qui les troublait. Eux aussi espèrent une résurrection, mais ils croient à une résurrection qui leur donnera ce qu’ils aiment sur la terre. Aussi, quand les Sadducéens, qui ne croient pas à la résurrection, leur proposèrent la question de cette femme qui avait eu successivement sept frères pour maris, et qu’on leur demanda de qui elle serait Épouse à la résurrection, ils furent en défaut et ne trouvèrent aucune réponse. Mais quand la question fut posée au Seigneur, comme il nous promet une résurrection telle que l’on n’aura plus aucun désir des voluptés charnelles, mais dont les joies sans fin seront puisées en Dieu, il répondit : « Vous êtes dans l’erreur, ne sachant ni les Écritures, ni la puissance de Dieu ; car au jour de la résurrection les hommes n’auront point de femmes, ni les femmes de maris, puisqu’ils ne seront plus assujettis à la mort »[1]. C’est-à-dire qu’il n’est pas besoin de successeur, quand nul ne cède sa place. Qu’arrivera-t-il donc ? « Tous », dit le Sauveur, « seront comme les anges de Dieu ». À moins peut-être que tu n’en sois à croire que les anges mettent leur joie dans les festins de chaque jour, dans le vin dont tu t’enivres, ou que tu ne croies que les anges ont des Épouses. Il n’y a rien de tout cela parmi les anges. D’où vient la joie des anges, sinon de ce qui a fait dire au Seigneur : « Vous ne savez donc pas que les anges voient la face de mon Père ?[2] » Si donc la vue de mon Père constitue la joie des anges, prépare ton âme à une joie semblable, à moins que tu ne trouves mieux que la face de Dieu. Malheur à ton amour, si tu as la moindre pensée qu’il y ait une beauté plus grande que la beauté de celui qui a donné à tout objet la beauté qu’il possède, et si cette beauté t’absorbe au point que tu ne mérites plus de penser à Dieu. Le Seigneur était incarné, c’était un homme qui apparaissait aux hommes. Comment apparaissait-il ? Je l’ai dit, c’était un homme aux yeux des hommes. Avec quelle grandeur apparaissait-il ? La chair y voyait la chair. Que montrait de grand celui dont il est dit : « Nous l’avons vu, et il n’avait ni grâce ni beauté[3] ? » Quel est celui qui n’avait ni grâce, ni beauté ? C’est celui dont il est dit : « Il surpasse en beauté les enfants des hommes »[4]. Comme homme, il n’avait ni grâce ni beauté, mais il était beau dans la nature qui l’élève au-dessus des enfants des hommes. Aussi, en montrant aux hommes ce que l’on peut appeler la difformité de la chair, que dit-il ? « Celui qui m’aime, garde mes commandements, et celui qui m’aime sera « aimé de mon Père, et moi je l’aimerai, et je me montrerai à lui »[5]. Il promettait de se montrer à ceux qui le voyaient. Mais quel est le sens de ses paroles ? Il semble leur dire : Vous voyez en moi la forme de l’esclave, la forme divine vous est cachée : l’une est douce pour vous, l’autre vous est réservée ; par l’une je vous donne la nourriture des petits enfants, par l’autre je suis l’aliment des parfaits. Dieu en agit donc ainsi afin de préparer aux choses invisibles cette foi qui nous purifie, c’est-à-dire que tout cela doit donner l’intelligence aux fils de Coré, afin que les saints soient dépouillés de ce qu’ils ont de terrestre, et même de la vie temporelle ; afin qu’ils ne servent point le Seigneur par amour pour ces biens, mais qu’impur amour pour lui leur fasse endurer tout ce qu’ils ont à souffrir dans le temps.
17. Or, après avoir compris tout cela, que disent les fils de Coré ? « Tous ces maux sont

  1. Mt. 22,29-30 ; Lc. 20,35-36
  2. Mt. 18,10
  3. Isa. 53,2
  4. Ps. 44,3
  5. Jn. 14,21