Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/458

Cette page n’a pas encore été corrigée

sans durée, volage, passagère ? N’offre-t-elle pas la déception plus que le plaisir ? Pourquoi donc, au milieu même de cette joie, mes larmes ne seraient-elles pas mon pain ? Quel que soit en effet le bonheur terrestre qui brille autour de nous, tant que nous habitons notre corps, nous sommes exilés loin du Seigneur[1] ; et « chaque jour on me dit : Où est ton Dieu ? » Qu’un païen me parle ainsi, ne puis-je pas, à mon tour, lui dire : Où est ton Dieu ? Il me montre son Dieu du doigt. Du doigt il me désigne une pierre et dit : Voilà mon Dieu. Mais encore, « où est ton Dieu ? » Que je raille sa pierre, il rougit de me l’avoir montrée : et, détournant les yeux de cette pierre, il regarde le ciel, et m’indiquant du doigt peut-être le soleil, il me dit encore Voilà mon Dieu. Mais enfin, « où est ton Dieu ? » L’œil de son corps a trouvé de quoi me montrer ; pour moi, ce n’est point que je n’aie un Dieu à montrer, mais le païen n’a pas ces yeux auxquels je puisse le désigner. Il a pu désigner à mon œil corporel le soleil pour son Dieu, mais moi, à quel œil montrerai-je le Créateur du soleil ?
7. Toutefois, à force d’entendre chaque jour : « Où est ton Dieu ? » et de me nourrir chaque jour de mes larmes, j’ai médité jour et nuit cette parole : « Où est ton Dieu ? » et à mon tour j’ai cherché mon Dieu, afin d’essayer si je ne pourrais point non seulement croire, mais encore voir quelque chose. Je vois en effet les œuvres de Dieu, et non le Dieu qui les a faites. Mais puisque je soupire comme le cerf après les sources d’eau vive, et qu’en Dieu est la source de la vie, et que notre psaume a pour titre : « Intelligence pour les fils de Coré », et que les perfections invisibles de Dieu deviennent visibles par la création du monde : que ferai-je pour trouver Dieu ? Je considérerai la terre ; mais la terre a été faite. J’y trouve sans doute une beauté admirable ; mais elle a un auteur. Il y a dans les plantes et dans les animaux des merveilles sans nombre ; mais tout cela est l’œuvre d’un Créateur. J’envisage les vastes plaines de la mer, elle m’épouvante ; je l’admire, mais je cherche celui qui l’a créée. Je regarde les cieux, la beauté des astres, j’admire cet éclat du soleil suffisant pour éclairer le jour, et la lune qui nous soulage des ténèbres de la nuit ; tout cela est admirable, tout cela digne d’éloges, tout cela nous ravit, car ce ne sont point des beautés de la terre, mais des beautés des cieux ; mais ma soif ne s’étanche point ; j’admire tout cela, je le chante, mais j’ai toujours soif de celui qui a fait tout cela. Je rentre donc en moi-même, et je me demande ce que je suis, moi qui veux approfondir tout cela : je trouve que j’ai une âme et un corps ; un corps que je dirige, une âme qui me conduit ; un corps pour servir, une âme pour commander. Je vois dans l’âme une supériorité sur le corps, et je comprends que c’est l’âme et non le corps qui peut discerner toutes ces choses : et cependant je reconnais que c’est par le corps que j’ai pu voir tout ce que j’ai vu. J’admirais la terre, mes yeux l’avaient vue ; j’admirais la mer, mes yeux l’avaient vue ; le ciel, les astres, le soleil, la lune, je ne les connais que des yeux. Ces yeux, membres de mon corps, sont les fenêtres de l’âme. Il y a intérieurement quelqu’un qui regarde par tes fenêtres, qui sont ouvertes sans profit, si la pensée est absorbée ailleurs. Ce n’est point avec ces yeux qu’il faut chercher mon Dieu, l’auteur de tout ce que mes yeux aperçoivent. Que mon âme considère donc par elle-même, s’il y a quelque chose que les yeux ne voient point, comme ils voient les couleurs et la lumière, quelque chose que je n’entende point par les oreilles, comme j’entends le chant elle bruit, quelque chose que je ne sente point par les narines, comme les odeurs, que ne discerne point le palais ni la langue, comme les saveurs, que je ne distingue point partout le corps, comme je sens ce qui est dur, mon, froid, chaud, doux, âpre ; mais s’il y a quelque chose que je voie intérieurement. Qu’est-ce à dire, voir intérieurement ? C’est-à-dire quelque chose, qui ne soit ni la couleur, ni le son, ni l’odeur, ni la saveur, rai le chaud, ni le froid, ni la dureté, ni la mollesse. Que l’on me dise un peu de quelle couleur est la sagesse. Quand nous pensons à la justice, et que sa beauté remplit déjà notre âme, quel son a frappé mes oreilles ? Quelle vapeur s’est élevée jusqu’à mon odorat ? Qu’en est-il venu à ma bouche ? Qu’est-ce que la main a pris plaisir à toucher ? Cette justice est toute intérieure, elle est belle, on la loue, on la voit, Et quand les yeux du corps seraient dans les ténèbres, l’esprit n’en jouit pas moins de sa lumière. Que voyait Tobie, quand cet aveugle donnait à son fils, qui voyait la lumière, des

  1. 2 Cor. 5,6