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ni un homme pour me consoler, et qui séchera dans sa douleur, avant d’adoucir la mienne. Qu’il me console, mes frères, celui qui est triste avec moi ; que nous puissions gémir ensemble, pleurer ensemble, prier et attendre ensemble. Qui pouvons-nous attendre, sinon le Seigneur qui ne nous trompera point dans ses promesses, bien qu’il en diffère l’accomplissement ? Il les accomplira, certainement il les accomplira ; il en a déjà mis sous nos yeux une grande partie, et Dieu ne nous eût-il rien montré, que nous ne devrions pas douter de sa véracité. Supposons qu’il nous a tout promis sans rien donner encore ; il a la bonté pour promettre, la fidélité pour tenir parole ; pour toi, demande avec piété, et si tu es petit, si tu es faible, demande miséricorde. Ne vois-tu pas les petits agneaux frapper de leurs têtes les mamelles de leur mère, pour en tirer du lait ? « J’ai attendu », dit le Prophète, « j’ai attendu le Seigneur ». Qu’a fait le Seigneur ? A-t-il détourné de toi son visage ? A-t-il méprisé ta patience ? Ne t’aurait-il pas vu ? Il n’en est pas ainsi. Qu’est-ce donc ? « Et il s’est rendu attentif, et il a écouté ma prière »[1]. Il a écouté, il a exaucé. Ce n’est donc pas en vain que tu as attendu, puisque ses yeux te fixaient et ses oreilles t’entendaient. « Car les yeux du Seigneur sont sur de juste, et ses oreilles attentives à ses prières »[2]. Mais quoi ! lorsque ta vie était un désordre, tes paroles un blasphème, ne voyait-il pas ? n’entendait-il pas ? Que devient donc cette parole du Psalmiste, que la face du Seigneur est sur ceux qui commettent le mal ? et pourquoi ? « Pour effacer leur mémoire de dessus la terre »[3]. Donc, lorsque tu commettais le mal, Dieu te voyait, mais il n’était pas attentif à tes besoins. Dès lors c’était peu, pour celui qui a patiemment attendu le Seigneur, de dire : Le Seigneur m’a vu ; mais il dit : Il s’est rendu attentif, c’est-à-dire, il a pris soin de me consoler, de me lire du bien. À quoi a-t-il été attentif ? « A exaucer ma prière ».
3. Que t’a-t-il donné ? Qu’a-t-il fait pour toi ? « il m’a tiré de l’abîme de la misère et d’un lac fangeux, il a consolidé mes pieds sur la terre et a dirigé mes pas. Il a mis dans ma bouche un cantique nouveau, un hymne à notre Dieu »[4]. Il nous a donc fait de grands biens, et nous est redevable encore. Mais que celui qui a déjà reçu ces promesses ait la foi pour le reste, lui qui aurait toujours dû croire, n’eût-il rien reçu. Dieu a voulu par des effets nous montrer qu’il est fidèle dans ses promesses et large dans ses dons. Qu’a-t-il donc fait dès cette vie ? « Il m’a tiré de l’abîme de la misère ». Quel est cet abîme de misère ? C’est l’abîme du péché creusé par les convoitises de la chair. Tel est ce lac bourbeux. D’où Dieu t’a-t-il retiré ? d’une certaine profondeur. Aussi criais-tu dans un autre psaume : « Du fond de l’abîme j’ai crié vers vous, ô mon Dieu »[5]. Mais ceux qui crient déjà du fond de l’abîme ne sont pas au plus profond : leurs cris les soulèvent. Ceux-là sont plus bas dans l’abîme, qui ne savent pas qu’ils y sont plongés. Tels sont les orgueilleux qui méprisent, au lieu de prier avec piété, de gémir avec larmes : ces âmes que désigne cet autre passage de l’Écriture « Quand le pécheur arrive dans les profondeurs du mal, il méprise »[6]. Dès qu’un homme compte pour rien d’être pécheur, dès qu’au lieu de confesser ses crimes, il va jusqu’à les défendre, il est au plus profond de l’abîme. Mais celui qui dans l’abîme pousse des cris, a déjà soulevé sa tête du fond de cet abîme afin de crier. Dieu l’a entendu et l’a tiré des profondeurs de la misère, et du lac bourbeux. Déjà il a la foi qu’il n’avait pas ; il a l’espérance dont il était sevré ; il marche avec le Christ, lui qui errait avec le diable. Aussi dit-il que le Seigneur « a consolidé ses pieds sur la pierre, qu’il a dirigé ses pas. Cette pierre était le Christ »[7]. Soyons donc sur la pierre, marchons avec droiture. Car nous devons marcher encore afin d’arriver. Que disait en effet saint Paul, affermi sur la pierre, lui dont les démarches étaient redressées ? « Non que j’aie atteint déjà mon but, ou que je sois parfait. Non, mes frères, je ne crois pas être arrivé à mon but »[8]. Qu’avez-vous donc obtenu, si vous n’avez point reçu ? D’où vient cette action de grâces qui vous fait dire : « Mais j’ai obtenu miséricorde ? » C’est que ses pieds sont redressés et qu’il marche sur la pierre. Que dit-il en effet ? « Il est un fait, c’est que j’oublie ce qui est en arrière »[9]. Qu’est-ce qui est en arrière ? L’abîme de misère. Qu’est-ce

  1. Ps. 39,3
  2. Id. 33,16
  3. Id. 17
  4. Id. 39,3-4
  5. Ps. 129,1
  6. Prov. 18,3
  7. 1 Cor. 10,4
  8. Phil. 3,12-13
  9. 1 Tim. 1,13