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me manque, et non la course que j’ai déjà faite.
6. Il appelle fin ce but que l’Apôtre dans sa course ne perdait pas de vue, alors qu’il confessait son imperfection, envisageant en lui-même quelque chose, et cherchant autre chose ailleurs. Car il dit : « Non pas que j’aie atteint mon but ou que je sois parfait, mes frères ; je ne crois pas avoir atteint mon but »[1]. Et de peur que tu n’en viennes à dire : Si l’Apôtre ne l’a pas atteint, l’atteindrai-je, moi ? si l’Apôtre n’est point parfait, comment arriver à la perfection ? vois ce qu’il fait, écoute ce qu’il dit. Que faites-vous donc, ô Apôtre ? Vous n’avez pas atteint votre but, vous n’êtes point parfait ? Que faites-vous donc ? À quoi m’engagez-vous ? Quel modèle me proposez-vous à suivre ou à imiter ? « Tout ce que je sais, c’est qu’oubliant ce qui est derrière moi, et m’avançant vers ce qui est devant moi, je tends à cette palme de la vocation de Dieu en Jésus-Christ »[2] ; je tends à cette palme, dit l’Apôtre, je n’y suis pas encore arrivé, je ne l’ai point encore saisie. Ne retombons pas au point d’où nous nous sommes élancés, ne demeurons pas où déjà nous sommes arrivés. Courons, efforçons-nous, nous sommes dans la voie : sois moins en sûreté pour ce que tu as déjà dépassé, que soucieux pour le but où tu n’es pas encore parvenu. « Tout ce qui est en arrière », dit l’Apôtre, « je l’oublie pour m’élancer en avant, je m’efforce d’arriver à cette palme de la vocation suprême de Dieu en Jésus-Christ ». C’est lui qui est ma fin. Il est une chose, dit l’Apôtre, et ce point unique le voici : « Seigneur, montrez-nous le Père, et cela nous suffit »[3]. C’est là ce qui faisait dire au Psalmiste : « J’ai fait une seule demande au Seigneur, je la revendiquerai. Le voilà qui oublie ce qui est en arrière, pour se jeter dans l’avenir. J’ai fait une demande au Seigneur, et je la renouvellerai, c’est d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie ». Pourquoi ? « Afin de contempler la beauté du Seigneur ? »[4] C’est là que je me réjouirai avec le compagnon de mon bonheur, sans craindre un adversaire : quiconque voudra contempler avec moi sera pour moi un ami et non un calomniateur jaloux. C’est là ce que désirait Idithun ; il voulait le savoir dès cette vie, afin de comprendre ce qui lui manquait, et ressentir moins de joie de ce qu’il avait acquis, que de désirs pour ce qu’il devait acquérir encore ; de ne point s’arrêter en chemin après avoir franchi quelques degrés, mais de s’élancer par de brûlants désirs vers les régions éternelles ; jusqu’à ce qu’enfin, après avoir franchi quelques degrés, il parvînt à les franchir tous, et qu’au lieu de ces quelques gouttes de rosée que laisse tomber sur lui la nuée des saintes Écritures, il vînt comme un cerf à la source d’eau vive[5], qu’il vît la lumière dans la lumière[6], et se dérobât, dans la face de Dieu, au trouble des hommes[7]. C’est là qu’il dira : Il est bon d’être ici, je ne veux rien de plus, j’aime tous ceux qui se trouvent ici, je n’y crains personne. C’est là le bon, le saint désir. Soyez heureux avec nous, vous qui le ressentez, et priez pour qu’il persévère dans notre cœur, et que les scandales ne nous découragent point. Car voilà ce que nous autres demandons pour vous. Eh ! ne croyez pas que nous soyons dignes de prier pour vous, et vous indignes de le faire pour nous. L’Apôtre se recommandait aux auditeurs auxquels il prêchait la parole de Dieu[8]. Priez donc pour nous, mes frères, afin que nous voyions ce qu’il faut voir, et que nous disions convenablement ce qu’il faut dire. Du reste, ce désir, je le sais, se trouve chez bien peu, et il n’y a pour me bien comprendre que ceux qui ont goûté les choses que je dis. Toutefois nous parlons pour tous, et pour ceux qui ont ce désir et pour ceux qui ne l’ont point encore ; pour ceux qui l’ont, afin qu’ils soupirent avec nous vers le ciel ; pour ceux qui ne l’ont pas, afin qu’ils secouent leur paresse, qu’ils franchissent les degrés d’ici-bas, qu’ils arrivent enfin aux délices de la loi du Seigneur, sans demeurer dans les plaisirs des méchants. Il en est beaucoup, en effet, qui ont beaucoup à raconter, beaucoup à s’applaudir ; l’injuste vante ses injustices. On trouve à la vérité quelques plaisirs dans l’iniquité, mais non comme ceux de votre loi[9], ô mon Dieu. Qu’ils parlent donc avec nous, ceux qui croient que nous parlons à Dieu comme David. C’est là une affaire tout intérieure, on n’en peut rien dire par les paroles. Mais que celui qui s’en occupe, croie qu’un autre s’en occupe aussi. Qu’il ne s’imagine

  1. Phil. 3,12-13
  2. Id. 14
  3. Jn. 14,9
  4. Ps. 26
  5. Ps. 41,2
  6. Id. 35,10
  7. Id. 30,21
  8. Col. 4,3
  9. Ps. 118,15