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possible ; et, dans l’impuissance de nos recherches, crions avec le Prophète : « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu’il m’a faits ? » Et qu’a-t-il trouvé à rendre ? « Je prendrai le calice du salut et j’invoquerai le nom du Seigneur »[1]. – « Pouvez-vous », dit le Seigneur, « boire le calice que je boirai moi-même ?[2] » puis à saint Pierre : « M’aimez-vous ? Paissez mes brebis »[3] ; pour lesquelles cet apôtre boira le calice du Seigneur. « Le Seigneur fortifie les justes. Le Seigneur connaît les voies des hommes purs, et leur héritage durera toute l’éternité ».
9. « Ils ne seront point confondus aux jours mauvais »[4]. Qu’est-ce à dire « Ils ne seront point confondus aux jours mauvais ? » Au jour de l’angoisse, au jour de l’épreuve, ils n’éprouveront point la confusion de l’homme déçu dans ses espérances. Quand un homme est-il déçu ? quand il dit : Je n’ai pas trouvé ce que j’espérais. Et cela est juste ; puisque c’était sur toi-même ou sur quelque ami que tu avais fondé ton espoir. Or, « maudit celui qui met son espérance dans un homme »[5]. Tu seras confondu, ton espérance a été déçue ; elle t’a trompé, cette espérance fondée sur le mensonge ; puisque tout homme est menteur »[6]. Mais si tu reposes en Dieu tes espérances, tu n’éprouveras point de confusion, car on ne peut tromper eu tel dépositaire. De là vient que ce juste dont je viens de parler, et que Dieu avait fortifié, n’était point confondu au temps du malheur et dans la tribulation, et s’écriait : « Nous nous glorifions dans nos afflictions, sachant que l’affliction produit la patience, la patience la pureté, et la pureté l’espérance ; or, cette espérance n’est point vaine ». Pourquoi n’est-elle point vaine ? Parce qu’elle repose en Dieu. Aussi dit-il ensuite : « Parce que l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné »[7]. Déjà le Saint-Esprit nous a été donné, et comment pourrait nous tromper celui qui nous a donné un tel gage ? Ils n’éprouveront point de confusion au jour du malheur ; et au jour de la disette ils seront rassasiés. Dès ici-bas, en effet, ils sont en quelque sorte rassasiés. Car les jours de la disette sont les jours de cette vie où les justes sont rassasiés quand les autres sont en proie à la faim. De quoi saint Paul se glorifiait-il, en disant : « Nous nous glorifions dans les épreuves », s’il eût intérieurement souffert de la faim ? On voyait au-dehors les angoisses, mais le cœur était dilaté par la joie.
10. Que fait au contraire le méchant quand l’affliction vient le saisir ? Il n’a plus rien au-dehors, tout lui manque, et sa conscience n’éprouve aucune consolation : qu’il sorte de lui-même, et tout est misère ; qu’il y rentre, et tout est pénible. Il tombe donc justement sous le coup de cette sentence : « Car les méchants périront »[8]. Comment ne périrait point celui qui n’a de place nulle part ? Ni à l’intérieur ni à l’extérieur, il n’est rien qui le console. Ce qui en effet ne peut nous consoler, nous est étranger. Car tous ceux qui n’ont point Dieu en eux-mêmes, sont esclaves de l’argent, de l’amitié, de la gloire, des biens de la terre ; or, tous ces biens corporels ne peuvent nous donner une consolation intérieure semblable à celle qu’éprouvait cet homme dont l’âme était rassasiée, et à qui cette plénitude faisait dire : « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté ; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait ; que le nom du Seigneur soit béni »[9]. Il ne reste donc pas aux méchants un lieu en dehors d’eux-mêmes, parce qu’ils y rencontrent l’affliction : leur conscience ne peut les consoler ; ils sont en désaccord avec eux-mêmes, parce qu’on ne peut être bien avec le péché. Quiconque devient mauvais est mal avec lui-même. Il faut qu’il ait ses tortures, qu’il soit lui-même son propre fléau. Déchiré par sa propre conscience, il devient à lui-même son supplice. Il peut fuir un ennemi, comment se fuir lui-même ?
11. C’est ainsi que venait à nous un homme du parti de Donat, que les siens avaient accusé et excommunié ; il cherchait près de nous ce qu’il avait perdu chez eux. Mais nous ne pouvions le recevoir ici qu’à son rang ; car, s’il quittait ce parti, il n’était point irréprochable chez eux, et l’on ne voyait point que sa démarche lui fût dictée par son choix plutôt que par la nécessité. Il ne pouvait donc trouver chez eux ce qu’il cherchait, c’est-à-dire la vaine gloire, le faux honneur, ni trouver chez nous ce qu’il avait perdu chez eux : il en mourut. Son cœur blessé poussait des gémissements ; il était inconsolable ; d’invisibles

  1. Ps. 115,12-13
  2. Mt. 20,22
  3. Jn. 21,17
  4. Ps. 36,19
  5. Jer. 17,5
  6. Ps. 115,11
  7. Rom. 5,3-5
  8. Ps. 36,28
  9. Job. 1,21